CONCORDE, 2014, N1
RELIGION D’ATTILA ET DE GENGIS KHAN
Grigori Tomski
La religion tangrienne est nee il y a au moins 2300 ans comme fondement ideologique des empires des steppes [1], elle a ete repandue sur une grande partie de l’Eurasie pendant plus de 1500 ans. Sur les monuments, eriges au VIII siecle, les souverains des Turcs de la Siberie et de la Mongolie se declaraient : « semblable a Tengri et issu de Tengri ». Loin a l’occident, les guides expliquent aux touristes visitant les ruines de Choumen, la premiere capitale de la Bulgarie : « Ce sont les fondations d’un temple de Tangra ».
Religion de Gengis Khan
Il y a plusieurs lettres des khans mongols qui parlent de leur religion. Voici, par exemple, un extrait de la lettre du Grand khan Guyuk au pape romain Innocent IV datee du 11 novembre de 1246 :
« Dans la force de Dieu, depuis le levant jusqu’au ponant, tous les territoires nous ont ete octroyes. Sauf par ordre de Dieu, comment quelqu’un pourrait-il rien faire ? A present, vous devez dire d’un creur sincere : nous serons vos sujets, nous vous donnerons notre force. Toi, en personne, a la tete des rois, tous ensemble sans exception, venez nous offrir service et hommage. A ce moment-la, nous connaitrons votre soumission. Et si vous n’observez pas l’ordre de Dieu et contrevenez a nos ordre, nous vous saurons nos ennemis. »
Guillaume de Rubrouck [2] cite la lettre du Grand khan Monka a Saint Louis, ecrite en 1254 :
« Voici le precepte du Dieu eternel. Au ciel, il n’y a qu’un seul Dieu eternel et, sur la terre, il n’y a qu’un seul maitre, Gengis Khan ... Lorsque par la puissance du Ciel eternel, du lever du soleil jusqu’a son couchant, le monde entier sera uni dans la joie et la paix, alors apparaitra ce que nous aurons a faire. »
Rubrouck etait temoin d’une declaration interessante de Monka : « Nous autres Mongols, nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu par qui nous vivons et par qui nous mourrons et nous avons envers lui un creur droit ... Mais comme Dieu a donne a la main plusieurs doigts, de meme il a donne aux hommes plusieurs voies. »
Le prince Nikolai' Troubetskoi' dans son livre L ’heritage de Gengis Khan [2] souligne le grand role des peuples turco-mongols dans le developpement de l’Etat russe :
« On sait bien que la Russie a ete incluse dans le systeme financier de l’Etat mongol et le fait que beaucoup des mots russes d’origine mongole et tatare (par exemple « kazna » - « tresor », « kaznatchei » -« tresorier », « denga » - « monnaie », « tamoznia » - « douanes » .) sont toujours utilises dans ce domaine montre que le systeme financier mongol n’a pas seulement ete bien adopte mais a survecu a la domination tatare. S’il existe une telle continuite entre les Etats mongol et russe dans les domaines si importants comme le systeme financier, la poste et le transport, on peut naturellement supposer l’existence de la continuite similaire dans la construction de l’appareil administratif, dans l’organisation de l’armee, etc. »
Citons l’opinion de Troubetskoi sur le systeme de Gengis Khan. Je partage cette opinion et je peux l’expliquer sans cette citation. Mais, exprimee par un representant eminent d’un peuple domine autrefois par les turco-mongols, elle est plus convaincante :
« Gengis Khan etait un grand conquerant mais aussi un grand organisateur. Etant un grand homme d’Etat, il ne se bornait pas a des taches courantes, mais il appliquait ses idees et ses principes qui composaient un systeme harmonieux.
Gengis Khan avait des exigences morales par rapport a ses subordonnes : des hauts dignitaires et des chefs de guerre superieurs aux simples guerriers. Il appreciait beaucoup et encourageait la fidelite, le devouement et le courage ; les defauts qu’il meprisait profondement etaient la trahison et la lachete . apres chaque victoire sur un roi ou un autre souverain, le grand conquerant donnait l’ordre d’executer les dignitaires et
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les courtisans qui avaient trahi leur maitre ... Et au contraire, apres la conquete d’un nouveau royaume ou d’une principaute, Gengis Khan recompensait et approchait a lui tous ceux qui restaient fideles a l’ancien maitre de ce pays, malgre une situation desesperee et dangereuse. Car la fidelite et la fermete de ces hommes montraient leur appartenance au type psychologique sur lequel Gengis Khan voulait fonder son systeme etatique. Pour les hommes de ce type psychologique, apprecie par Gengis Khan, leur honneur et leur dignite est plus importantes que leur securite et leur richesse. »
Le prince russe decrit la noblesse de Gengis Khan dans les termes suivants :
« Ils ont dans leur conscience un code de conduite des hommes honnetes et respectables ; ils tiennent a ce code, le respectent religieusement comme aux regles sacrees et ne peuvent pas le violer car le manquement a ce code aurait entraine le mepris de soi-meme ce qui pour eux est pire que la mort. En se respectant, ils respectent les autres qui tiennent le meme code de conduite ...un homme de ce type se considere comme appartenant a un systeme hierarchique subordonne par a un homme mais au Dieu... Gengis Khan, lui-meme, appartenait a ce type des hommes. Meme, apres avoir vaincu tous et tous le monde, apres etre devenu le souverain du plus grand Etat dans l’histoire de la Terre, il continuait de le sentir vivement et etait conscient de sa soumission totale a la volonte superieure, il se considerait comme un instrument entre les mains du Dieu. »
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Religion d’Attila
Les Mongols continuaient de respecter les anciennes traditions des peuples des steppes. Rene Grousset ecrit dans son livre L’empire des steppes : « Hun, Turc ou Mongol, l’homme de la steppe, le brachycephale a la grosse tete, au torse puissant, court sur jambes, le nomade toujours en selle ... n’a guere varie a travers quinze siecles de razzias au detriment des civilisations sedentaires ([1], p. 119).
Je vais commenter les extraits « religieux » de mon roman Les amis d’Attila [4]. Je commence par mon interpretation du nom du peuple hun :
« Sabir les attend dans la residence de l’ambassade, une grande maison octogonale:
- Je suis ici depuis longtemps. Racontez-moi, comment s’est passee votre rencontre avec Kere-ko.
Oreste repond :
- Elle est tres agreable et curieuse, nous avons parle longuement. Dis-nous, Sabir, est-ce que les Taugastes qui gouvernent maintenant la Chine sont aussi des Huns ?
- Vous parlez des Tabgatchs ? Mais pourquoi vous interessent-ils ?
- C’est incroyable que les Huns puissent gouverner un empire ancien et prestigieux !
Salvien tend l'oreille. Sabir commence avec une voix pensive :
- Je ne sais pas tres bien ce qui se passe maintenant la-bas. Mais je peux vous raconter des choses interessantes. Je m’appelle Sabir car je suis ne derriere les Monts d’Oural. Ce pays s’appelle Sibir comme mon peuple Sibir ou Sabir.
- Mais vous etes un Hun !
- «Hun» signifie «kun» ou «kun djono», c’est-a-dire «les gens du peuple du Soleil». Nous parlons tous des langues proches, avons les memes types de maisons, de vetements et d’armement, croyons a Tangra. Certains prononcent ce grand nom comme «Tangara», les autres «Tangri» ou «Tengri». Mais nous sommes divises en peuples et tribus. »
Mon interpretation est fondee sur les epopees sakhas qui chantent les exploits des ancetres appartenant au peuple Kun (« peuple du Soleil ») dont le pays est situe entre la mer Aral et le lac Baikal. Cette situation corresponde bien au pays des « Hiong-nou » (transcription chinoise) ou des « Khunnu » (transcription russe), des anciens Huns. Notons qu’en Asie Centrale les Huns etaient connus sous le nom du peuple « Kun ».
La langue sakha « qui a conserve de nombreux caracteres archaiques constitue a elle seule une branche tres importante de la famille des langues turques » ([5], p. 53). L’epopee saka est consideree, elle-aussi, comme la plus archaique des epopees turco-mongoles.
La description des rites des anciens Huns (veneration du Ciel, du Soleil et de la Lune) renforce cette hypothese. Rene Grousset pense qu’un mot tcheng-li, connu par les sources chinoises, est « la transcription du mot turc et mongol Tangri » ([1], p. 54).
Je crois a ce point de vue mais je ne demande a personne d’y croire. Mais je suis persuade sincerement que mon interpretation est correcte.
« - Tangra est un de vos dieux ?
- C’est le Dieu unique et tout puissant. En fait, nous pensons, que les chretiens et nous, croyons en un meme Dieu. Mais je vous conseille de parler de ces questions avec nos chamans blancs.
- Tu es ne au-dela des Monts d’Oural ?
- Oui, sur le bord du fleuve Irtych. J’ai ete eleve par mon grand-pere car ma mere est morte tot et mon pere est parti avec khan Mundzuk se battre en Occident et n’est pas rentre de la guerre. Mon grand-pere etait age, mais il etait encore fort et droit, rapide dans ses mouvements. Il racontait que son pere avait accompagne un chef sabir, parti en Chine sur l’invitation d’un khan hun.
Salvien s’exclame involontairement :
- En Chine ?
- Oui, en Chine. Mon arriere-grand-pere a ete choque par le fait qu’un des echansons de ce khan etait un empereur chinois prisonnier.
- L’empereur chinois ! s’etonne Oreste. - Comme notre pauvre empereur Valerien, pris par Sapor, roi de Perse. Valerien a ete oblige de se mettre a genoux chaque fois que Sapor montait a cheval. Sapor mettait son pied sur son dos ou meme sur son cou pour s’installer sur sa selle.
Sabir se souvient de la coutume des dames de la noblesse hune de monter a cheval en mettant leur pied sur le dos d’un valet qui se mettait a quatre pattes a cote du cheval. Apres une pause, il dit :
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- L’annee suivante, il a ete decapite et le roi hun a fait prisonnier le nouvel empereur qui a du remplacer son predecesseur dans le role d’echanson.
Il n’existait pas de cas similaire de capture successive de deux empereurs dans l’histoire romaine et Oreste remarque simplement :
- Valerien est mort rapidement de chagrin et de souffrances. On dit que le roi Sapor a ordonne de faire avec sa peau un mannequin comme souvenir de sa victoire mais je ne le crois pas. »
L’empereur Tsin-Houai-ti a ete capture par les Huns (Hiong-nou) en 311 et a ete execute en 313, son successeur Tsin-Min-ti a ete capture en 316 et a ete execute en 318 ([1], p. 97).
« Etonne, Sabir regarde les Romains. Silence. On n’entend que le bruit du feu dans la cheminee. Sabir sort de sa reflexion et continue son recit :
- Mon grand pere a servi quelques annees dans l’armee tabgatche. Il est rentre avec des armes magnifiques, le manche de son epee etait en ivoire et son casque incruste de motifs decoratifs en or. »
« Si fort fut l’impression laissee par ces conquetes sur les peuples de l’Asie Centrale que ce fut desormais sous le nom de pays t’o-pa qu’ils designerent la Chine de nord et que la designerent a leur exemple les Byzantins eux-memes : Tabgatch ou Tabghatch en turc, Tamghadj en arabe, Taugast en grec medieval » ([1], p. 105).
« Oreste dit avec une voix un peu fatiguee :
- La Chine est loin. Nous savons peu ce qui se passe la-bas. A vrai dire cela nous interesse peu. L’ambassade romaine n’a visite cet empire qu’une seule fois il y a quelques siecles.
Sabir reagit vivement :
- Par contre, nous, ga nous interesse. Les peuples lointains vaincus peuvent arriver demain et commencer a lutter contre ton peuple pour ses paturages. C’est pourquoi nous sommes au courant de tout ce qui se passe dans la Grande steppe, du Danube a la Grande muraille de Chine.
- Nous, en Italie, ne savons presque rien de ce qui se passe a cote dans les forets d’Europe du Nord.
- Dans les forets la situation est bien differente. Les habitants sont mal organises, ils parlent des langues tres differentes. Dans la Grande steppe tout le monde parle des langues proches, se deplacent sur des chevaux rapides, on se salue par «racontez-nous !». Et si tu n’es pas dans une mission urgente, tu dois t’arreter pour echanger les actualites interessantes. Ton recit doit etre exact car les Huns ne savent et n’aiment pas mentir. Cette coutume s’appelle «Ouzoun koulgak» - «Les longues oreilles».
Oreste sourit :
- Aujourd’hui Kerka m’a dit aussi : «Racontez-moi ce qui se passe dans le monde romain ?»
Il jette un coup d’oeil sur Salvien et continue :
- Elle est si charmante que j’ai raconte avec plaisir tout ce que je sais. J’ai repondu avec une telle application a ses questions que j’ai oublie de lui dire que j’ai vu Attila dans mon enfance.
Sabir corrige :
- Pas Kerka mais Kere-ko! Nous sommes fiers de notre jeune khan Attila et de sa belle epouse. Que Dieu tout puissant les protege ! »
J’explique par cette coutume l’unite linguistique des Sakhas qui occupent un immense territoire. La droiture est une des qualites essentielles exigees par le code moral traditionnel.
Les noms des femmes d’Attila sont connus en transcriptions latine et grecque : Kerka, Enga, Eska, Ildigo. Je crois de reconnaitre en « ka », « ga », « go » le mot « ko » des epopees sakhas. Ce mot, qui n’est plus utilise dans la langue courante, signifie « noble et belle femme ». Alors, tres vraisemblement, Kerka = Kere-ko, « kere » signifie belle », Enge = En-ko, Eska = Es-ko, Ildigo = Ildi-ko.
Jean-Paul Roux ecrit dans son livre La religion des Turcs et des Mongols :
« C’est un singulier contraste que celui qui existe entre l’importance historique des peuples altai'que et le peu d’etudes qui ont ete consacre a leurs conceptions religieuses » ([6], p. 45).
La majorite des peuples turcs est actuellement islamisee, les peuples mongols sont devenus bouddhistes. Mais les Sakhas continuent dans leur majorite de respecter les rites tangrai'stes dans leur vie quotidienne. Les extraits suivants sont utiles pour la comprehension du role historique des peuples hunniques (turco-mongols).
« Le prince Ellak invite son professeur Onegese et les Romains a s’asseoir autour de la grande table ronde dans une piece du palais de Kere-ko. A treize ans, le prince, tout bronze, a deja l’allure d’un homme courageux et energique. Comme un vrai Hun, le prince a la poitrine large et le ventre efface. »
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Il est interessant que le fils aine d’Attila porte un nom purement sakha : Ellak = « celui qui possede un Etat » = « un souverain » (« El » signifie « etat, union, paix »).
« Oreste demande :
- Nous somme etonnes d’apprendre que tous les peuples de la Grande steppe du Danube a la Chine parlent des langues proches et ont presque le meme mode de vie.
Onegese jette un coup d’mil sur les Romains puis regarde Ellak :
- Le prince Ellak aime les legendes et les recits historiques. Demandons-lui de repondre a votre question. Il comprend le latin assez bien mais ne parle pas encore couramment. Je l’aiderai a traduire.
Les yeux d’Ellak se remplissent d’etincelles :
- Excusez-moi, mais je prefere effectivement ecouter les epopees heroiques et les legendes que d’etudier les oeuvres des auteurs grecs et latins.
Il regarde Onegese en souriant :
- J’aime la chasse et les longs voyages. Nos ancetres disaient que la force des Huns vient de leur fidelite aux traditions.
Oreste demande :
- On connait les legendes sur Romulus, fondateur de Rome. En avez-vous de pareilles sur vos ancetres ?
Ellak commence avec une certaine solennite dans la voix :
- Je vais vous parler de Modoun, premier empereur des Huns. Il a vecu il y a six siecles. C’est un recit authentique, les Chinois et les Sogdiens aussi s’en souviennent tres bien. Leurs marchands visitent souvent notre pays.
Onegese commente brievement :
- C’etait l’epoque des guerres puniques, au debut de la puissance de Rome. A la meme epoque, loin a l’est, les Huns, eux-aussi, ont jete les bases de leur puissance.
Ellak continue :
- Modun etait fils d’un roi hun. Sa mere est morte quand il etait petit. Son pere epousa alors une femme qui lui donna encore un gargon. La belle-mere, qui desirait que le futur roi des Huns soit son fils, decide de se debarrasser de Modun. Elle convainc le roi d’envoyer Modun comme otage a un peuple voisin. Puis elle reussit a provoquer la guerre avec ce peuple condamnant ainsi le petit prince a mort. Mais cette combinaison sordide ne reussit pas. Le gargon montre un grand courage, reussit a s’enfuir et rentre chez les Huns. Son pere lui donne alors une armee de dix mille cavaliers. Modun entreprend des reformes inconnues jusqu’alors dans la Grande steppe. Le jeune prince divise son armee en detachements de mille, cent et dix guerriers, introduit une discipline de fer. Les soldats, vetus en uniformes, avaient le meme nombre de fleches.
Salvien remarque :
- A cette epoque, d’abord Camille ensuite Marius ont introduit une discipline de fer dans l’armee, grace a quoi la petite Rome a conquis l’ltalie, puis tous les pays et peuples voisin.
Caustique, Onegese intervient :
- Il reste tres peu de cette discipline ! Maintenant les legionnaires n’aiment pas porter de cuirasse. Deja, il y a trois siecles, ils ont commence a trouver insupportable la lourdeur de leur armure, qu’ils ont portee de moins en moins, puis ils ont obtenu l’autorisation de ne plus porter casques et cuirasses. Le lourd armement de leurs ancetres est devenu insupportable pour leurs faibles mains. Les Goths et les Alains, sans parler des Huns plus guerriers, sentent les avantages des cuirasses, ils battent facilement les soldats romains presque nus dont les tetes et les poitrines sont ouvertes.
Oreste exprime son accord :
- Malheureusement, c’est vrai. Maintenant, la jeunesse italienne tremble au son de la trompette.
Salvien le regarde avec desapprobation. Bien sur, c’est vrai, mais pourquoi en parler aux etrangers ?
Ellak continue apres une pause :
- Un jour, Modoun, pour verifier la discipline de son armee, donna l’ordre de tirer sur sa femme aimee.
Oreste s’exclame terrifie :
- Sur sa femme aimee !
Salvien, qui n’est pas encore marie, reste plus calme et demande :
- Quel age avait alors Modoun ?
- Environ seize ans.
Le visage d’Ellak devient maintenant severe, presque feroce :
- Les guerriers tirent sur l’ordre, la jeune femme tombe, percee de fleches comme un herisson. Les officiers inspectent le nombre de fleches de leurs guerriers bien ranges. Ceux, qui par pitie pour une femme, n’ont pas respecte leur devoir de soumission militaire inconditionnelle, sont retires des rangs et decapites.
Oreste fronce les sourcils et Salvien serre les dents. Ellak continue son recit :
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- Depuis, les armees hunes respectent une discipline de fer, sont divisees en divisions de dix mille guerriers, de regiments de mille guerriers et de detachements de cent et de dix guerriers. Bientot Modun avec ses guerriers eloigne du pouvoir son pere et elimine sa belle-mere. Les Huns le proclament leur roi. Il reorganise toute l’armee hune, promulgue des lois strictes et justes, vainc tous les peuples voisins et l’Empire chinois qui reconnait l’Empire des Huns comme une puissance egale et commence a lui payer un tribut.
Onegese confirme :
- Les lois de Modun sont devenues des coutumes et sont toujours respectees. Les Huns pensent que Modoun khan est devenu la divinite de la destinee apres sa mort.
Oreste demande :
- C’est etonnant ! Quelle personnalite exceptionnelle ! Mais pourquoi les Huns sont-ils venus sur les bords de la Volga ?
Ellak explique comme un professeur d’histoire :
- La soie et l’or de la Chine corrompaient les Huns et diminuaient progressivement leurs forces. Il y a quatre siecles l’Empire hun s’est divise en l’Empire hun d’Orient et l’Empire hun d’Occident.
Onegese remarque :
- Comme l’Empire romain divise actuellement en l’Empire romain d’Orient et l’Empire romain d’Occident !
Surpris, Oreste et Salvien s’exclament involontairement. Content de l’effet de son recit, Ellak continue sa legon d’histoire de la Grande steppe :
- Puis l’Empire hun d’Orient se disloque en l’Union du Nord et l’Union du Sud. L’anarchie s’installe. C’est pourquoi, ces unions ne meritent pas le terme d’«etats».
Onegese continue ses commentaires :
- Nous verrons, ou nos enfants verront, lequel des deux empires romains se disloquera en Etat du Nord et Etat du Sud. »
Dans cet extrait le premier empereur hun porte le nom Modun. En transcription chinoise son nom est Mao-touen. « Modun » signifie « puissant » en sakha est correspond bien a l’image et aux actions de cet empereur.
« La fete du Soleil. Le grand jour pour la capitale des Huns. Avant le lever du soleil, les gens se sont rassembles dans un lieu amenage a l’ouest de la capitale. Tout le monde porte ses plus beaux vetements. Sabir a conduit les Romains dans un endroit reserve aux convives de marque, situe non loin de la tente royale. Les drapeaux des tribus et des detachements militaires flottent sur les mats. Les gens se disposent en rond, autour de leurs drapeaux, sur les tapis et sur l’herbe.
A l’est, le ciel commence a s’eclaircir et on voit le panorama de la capitale avec ses palais et ses tours decoratives. Un pretre, appele chez les Huns chaman blanc, sort d’une tente a l’extremite occidentale du lieu de fete. Il est accompagne par un gargon et une fille, tous les trois sont vetus de blanc. Le chaman tient un tambour, chacun des deux enfants, qui sont un peu derriere lui, tient une corde en cuir attachee au dos du chaman.
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Sabir explique :
- Nous nous appelons «les tribus du Soleil avec les renes dans le dos » car le Soleil pour nous symbolise Dieu qui nous dirige avec ses rayons comme nous dirigeons nos cheveaux.
- Mais alors Tangra est dieu du Soleil !
- Tangra est dieu de tout ce qui existe. Le Soleil est sa plus grande creation. Il a plusieurs noms : Ulu Tangra - Grand Dieu, Urun Tangra signifie Dieu blanc, c’est-a-dire, Dieu solaire, les Sakas disent «Ard Tangra» ou «Ar Toyon Tangra».
- Que signifie le mot «ar» ?
- Beaucoup de Sakas orientaux, comme les Alains, parlent des langues qui sont differentes de celle des Huns. On dit qu’ils comprennent les Perses. Pour eux, «ard» ou «ar» signifie «dieu». »
Tangra a plusieurs noms comme le Dieu a 99 noms dans la religion musulmane : « Allah, Le Dieu Absolu qui se revele », « Ar-Rahim, Le Tout-Misericordieux », « Al-Djalil, Le Majestueux, qui s’attribue la grandeur du Pouvoir et la Gloire de Sa dignite », « Al-Qawiyy, Le Tres-Fort, le Tres-Puissant, Celui qui possede le Pouvoir complet » ...
Pourtant ce fait donne souvent lieu a l’interpretation polytheiste de la religion tangrai'ste ce qui contredit a son interpretation classique.
« Le chaman passe solennellement sous le faible roulement des tambours vers l’extremite est du lieu de fete et s’arrete. Les tambours se taisent. Les Romains remarquent que les chamans et les pretres des differentes tribus et des detachement militaires allument des feux non loin de leurs drapeaux. Une chamane, qui a ete assise au banquet a la place d’honneur de la table voisine, allume, elle aussi, un feu pres de la tente royale.
- C’est Udagan, une amie de Kere-ko. explique Sabir.
Le silence. On n’entend que les oiseaux. Toutes les tetes sont tournees vers l’est en attendant le lever du soleil. Les Romains admirent involontairement le panorama de la capitale sur le fond de l’aurore matinale.
Quand le soleil jette ses premiers rayons sur la foule qui l’attend, le chaman leve ses mains vers le ciel, frappe trois fois son tambour et recite une priere d’une voix rapide et solennelle. Sept filles et neuf gargons dans des vetements blancs s’approchent de lui. Le chaman accomplit avec eux encore quelques beaux rites, verse du koumyz, boisson de lait de jument fermente, sur la terre. Ensuite, il se dirige vers la tente royale, benit Kere-ko et ses enfants : le prince Ellak, Uzun-Tour age de quatre ans, Denghizik de deux ans et reste a cote de la reine.
« Unzundur » des sources romaines est probablement Uzin-Tour : « soit debout longtemps » = « vis longtemps ». Denghizik rappel « Denghiz » = « ocean » (« deniz » en turc occidental moderne) ou meme « Gengis ».
« Udagan continue la ceremonie pour Kere-ko selon les rites de sa tribu. Toutes les femmes sakas ont de hauts chapeaux coniques.
- La tribu de Kere-ko est connue depuis l’antiquite sous le nom des «Sakas avec les chapeaux-fleches». raconte Sabir. - Les hommes aussi portaient autrefois des chapeaux semblables. Leurs rois portaient des armures en or. Ils vivaient non loin du grand lac Issyk-koul. »
Les peuples connus des Grecs sous le nom de Scythes sont les memes que les Perses et les Indiens connaissaient sous le nom de Saka. Un chef saka en superbe armure d’or a ete trouve en 1969 par l’expedition de K.A.Akichev.
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On a trouve avec lui un texte de 26 lettres runiques, ecrit il y a environ 2500 ans.
Le peuple turco-mogol Sakha (Yakoute) revendique l’heritage culturel des Huns mais aussi des
Sakas.
Le professeur A.D.Grigoriev a compare des cheveux de Huns asiatiques avec les cheveux des peuples contemporains. Il trouve que c’est la composition des cheveux des Sakhas qui est la plus proche de celle des Huns ([7],, p. 26).
Dans les cheveux des Sakhas a ete trouve dans 60% des cas le pigment de pheomelanine, caracteristique des cheveux des femmes europeennes. V.V. Fefelova a decouvert (1987) dans le sang des Sakhas dans 29,1% des cas, c’est-a-dire, deux fois plus souvent que chez les europeens, l’antigene HL A-AI, qui est absent dans les populations asiatiques. Il est souvent combine chez les Sakhas avec l’antigene HLA-B17 et cette combinaison n’existe que chez Sakhas et les Hindous ([8], p. 28, 123).
« Vient l’eveque chretien de la Hunnie, il benit les Romains et recite une priere. Il se dirige ensuite vers le groupe des secretaires latins et grecs d’Attila. Quand l’eveque est passe vers l’autre groupe de chretiens, Onegese se detache du groupe des secretaires et rejoint les Romains :
- Regardez notre capitale. s’ecrie-t-il. La Ville du Soleil!
Effectivement sous les rayons du soleil levant, le panorama de la capitale des Huns est splendide.
- Les neuf enceintes concentriques symbolisent les neufs couches du ciel. explique Onegese.
Les toits pointus des tours rondes ressemblent aux casques des guerriers huns. Peints en couleurs bleues et jaune d’or, verms, ils brillent sous les rayons du soleil. Les huit larges rues partent comme des rayons de la citadelle qui entourent le quartier royal. La ville est construite avec envergure. Les maisons ne se touchent pas, ont de grandes cours, fermees d’un cote par un trongon d’une des neuf enceintes.
Oreste pense : «L’incendie n’est pas un danger pour cette ville». Il a deja remarque que les palais sont batis sur des fondations en pierre, leurs differentes parties sont separees par des couloirs, egalement en pierre : «Comment tout est bien reflechi !»
Onegese explique :
- A l’est de la Hunnie se trouve une deuxieme capitale.
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- Je l’ai visitee, explique Sabir. - C’est une ville plus grande mais moins splendide que cette ville.
- Cette capitale est une «fenetre sur le monde romain et germanique». dit Onegese. - Attila veut impressionner les peuples d’Europe.
- Mais alors pourquoi ne construit-il pas en pierre ? s’etonne Oreste.
Onegese explique :
- Attila pense qu’il est impossible de depasser les Romains et les Grecs dans ce domaine. Il ne veut pas avoir comme capitale une pale copie des villes romaines. N’oubliez pas que les Huns et leurs vassaux possedent plusieurs anciennes villes romaines et grecques en Dacie, sur le bord de la mer Noire et dans leur partie de la Pannonie. Beaucoup de ces villes sont reconstruites par les habitants ou sont en cours de reconstruction. Attila pouvait facilement convaincre Oros de transferer la capitale ou une residence royale dans une de ces villes.
Fier, il regarde le panorama de la capitale :
- La ville n’avait que deux enceintes, a ete agrandie et reconstruite selon les idees d’Attila dans les traditions hunes. Les Germains appellent notre ville Attilaburg ou Etzelburg.
- Oui, il a cree une ville extraordinaire ! confirme Oreste.
- Nous avons construit beaucoup cette derniere annee grace a l’argent romain. dit Onegese.
- A l’argent romain ? s’exclament simultanement Oreste et Salvien qui, stupefies, se regardent.
- Selon les conditions du traite avec Aetius pour la mobilisation de l’armee de secours, nous avons regu une contribution a notre tresor. Chaque soldat a paye ensuite des impots sur son salaire de mercenaire romain. On peut ainsi dire que le nouveau palais de Kere-ko est construit avec l’argent de Galla Placidia.
- Nous avons donne au tresor un dixieme de notre solde, confirme Sabir. »
La description de la capitale hune est basee sur les reconstitutions faites par Edward Gibbon ; Maurice Bouvier-Ajam et Michel Loi.
« Udagan et l’eveque, avec des airs importants, discutent amicalement.
Les Romains et Onegese font la reverence a Kere-ko et aux dames. Puis, ils s’approchent de l’eveque. Il est etonnant de voir sur sa poitrine une croix a quatre branches egales et de remarquer chez Udagan une croix avec des branches egales et ancrees, gravee a l’interieur d’un grand disque en argent.
L’eveque comprend vite la raison de l’interet des Romains et leur explique :
- Vous etes habitues aux croix en «tau» qui reproduit la forme de l’instrument de supplice du Christ. Mais nous portons ici des croix a branches egales, familieres aux Huns. D’ailleurs, on commence a porter des croix similaires dans l’Empire romain d’Orient et il est amusant de constater que les Romains d’Occident les appellent les «croix grecques».
Oreste compare encore une fois les deux croix similaires sur les poitrines de l’eveque et de la chamane blanche et demande :
- Mais que signifie la croix pour les Huns ? Nous voyons ces croix sur les drapeaux, les vetements, les boucliers et les carquois.
L’eveque regarde d’abord Udagan et ensuite commence a expliquer :
- La croix tangrai'ste est un symbole tres ancien. Chaque peuple l’interprete de fagon differente ...
La chamane lui dit quelques mots en hun. L’eveque traduit :
- Par exemple, les Sakas considerent la croix comme une image stylisee de l’aigle sacre bicephale. Les Huns croient que les oiseaux extraordinaires ainsi que les biches avec des cornes dorees sont des messagers de Dieu. Apres leur apparition, il se produit toujours un evenement important dans la vie du peuple. »
Gavril Ksenofontov, un des premiers scientifiques sakhas, pensait que la croix tire son origine de la representation ornementale de la lumiere du soleil ainsi que de Sakh, le Dieu du soleil des anciens Sakas.
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« Oreste pose a l’eveque une question qui l’interesse profondement :
- Pensez-vous que les Huns et les chretiens croient au meme Dieu ?
L’eveque repond avec conviction :
- Sans aucun doute. Je traduis actuellement la Bible et l’Evangile en hun et dans ma traduction j’identifie Tangra avec le Dieu chretien. J’ai beaucoup discute de cette question. »
En effet, l’Eglise orthodoxe a decide, dans la traduction de la literature chretienne en sakha, d’identifier Tangra (Les Sakhas prononcent souvent « Tangara ») avec Dieu.
« - Mais nous savons qu’il existe aussi Odoun khan, dieu de la destinee. N’est-ce pas un signe de polytheisme ?
- Modoun khan, qui etait le premier empereur hun, est canonise dans la memoire populaire. Je le compare avec les saints de l’eglise catholique. On croit que ses lois, justes et strictes, ont ete inspirees par Tangra lui-meme et sont toujours respectees par toutes les tribus hunes. Tangra est Dieu unique et tout puissant entoure par les autres divinites, a la fois distinctes de lui et en faisant partie.
Salvien se souvient des raisonnements des philosophes, assez obscurs pour lui, et des disputes sur la Trinite, cette union de trois personnes distinctes ne formant q’un seul Dieu : le Pere, le Fils et le Saint-Esprit, mais aussi sur les anges et les archanges, creatures purement spirituelles.
L’eveque repete une formule que les Romains connaissent deja :
- Comme Dieu unique et tout puissant a donne a la main plusieurs doigts, de meme il a donne aux hommes plusieurs voies vers lui. »
D’apres Jean-Paul Roux Tangra est la « plus haute expression du divin ... et qu’entoure un grand nombre de divinite, a la fois distinctes de lui et en faisant partie » ([6] ; Historia special, n° 57,
p. 62).
Gengis Khan est considere par les Sakhas avec Odoun Khan comme deux divinites du destin humain. On dit : « Par le decret d’Odoun Khan, par le loi de Gengis Khan » (« Odoun Khan ouragynan, Tchingys Khan yiaagynan »). Le mot « yiag » ou « yiakh » ressemble au mot « yassak » ou « yassa ». On peut dire que les heros des epopees sakhas respectaient le Yassa de Gengis Khan !
Le code des lois gengiskhanides, le yassak, parfois transcrit yassa, promulgue en 1219, codifie «des traditions, des lois et des interdits, souvent millenaries, des peuples de la steppe » ([9], p.144). Les Mongols consideraient « que les ordres du khan etaient ceux de Dieu meme, et ils ne manquaient pas en effet de dire parfois : « Le commandement de Tengri l’Eternel a ete donne a Gengis Khan » ([9], p. 143). Le Yassa de Gengis Khan etait considere par les peuples turco-mongols « a l’egal d’un livre saint et avait pour eux une valeur religieuse » ([9], p. 144). On continuait de le respecter longtemps apres la mort de Gengis Khan comme les commandements divins. Ainsi les Sakhas continuent aujourd’hui de venerer l’eau et le feu comme l’exige le Yassa et on ne peut pas s’etonner que Gengis Khan a ete divinise dans leur religion.
Mais qu’a ete Odoun Khan, un autre saint de la religion tangrai'ste ? Je crois que c’est Modoun Khan, premier empereur hun et premier codificateur des traditions et des lois des peuples des steppes.
« Les Romains se promenent et regardent la lutte et les autres competitons sportives. La fete continue sur tout l’espace du rassemblement. Ils trouvent Sabir parmi les gens de sa tribu. Comme les Siberiens ne sont pas nombreux, ils sont contents de la visite des Romains. Le vieux chaman verse sur le feu une cuiller de beurre fondu et recite une priere tangrai'ste. Salvien entend a plusieurs reprise «Allah ot» dans le courant des mots pour lui inconnus et s’interesse, il ne sait meme pas pourquoi et demande a Sabir :
- Que signifie ce mot «allah» ?
- «Allah» ou «al» signifie dans notre dialecte «sacre» ou «saint», par exemple, «allah ot» signifie «le feu divin», «al mas» signifie «l’arbre sacre». »
L’Arbre sacre mythique s’appelle en sakha « Al Louk Mas » ou « Ar Loup Mas », le verbe sakha « alla » ou « alga » signifie « benir ». Notons aussi que l’esprit de la guerre s’appelle Ilbis.
« Quand, dans l’apres-midi, les jeux guerriers commencent, les Romains retournent a leur place afin de mieux les voir. Les competitions des differents jeux d’adresse, de la voltige, du lancement du javelot et des autres armes, des arts martiaux et du tir a l’arc se deroulent simultanement. Onegese les rejoint de nouveau :
- Regardez, il n’y a aucune competition qui mette en danger la vie d’un adversaire. Ces peuples sont si guerriers qu’on ne peut pas leur donner de raison ou de pretexte pour l’hostilite, la vengeance ou la rancune. Selon une des lois de Modoun khan, on ne peut sortir les armes blanches de leurs fourreaux sans l’ordre des chefs, les coupables de non respect de cette loi sont passibles de la peine de mort. »
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Cette etonnante loi a suscite l’admiration de Lev Goumilev, eminent specialiste russe de l’histoire turco-mongol.
« L’attention de Salvien est attiree par les competitions d’archers car il sait bien que l’arc est l’arme favorite des guerriers huns. Les Huns n’aimant pas le choc frontal, ils n’etablissent le contact direct que lorsque l’adversaire est deja desequilibre afin de lui porter le coup de grace. Leur mobilite, leur capacite de concentration, leur technique de harcelement avec des tirs a l’arc et des feintes de fuite donnent aux cavaliers huns une efficacite singuliere. Les armees des peuples sedentaires ne pouvaient pas ecraser ces cavaliers dans les steppes. On pouvait esperer les vaincre seulement dans des situations rares et exceptionnelles, par exemple, en coupant, pendant la marche de leur armee dans une vallee, toutes les sorties possibles.
Les Romains voient que les meilleurs archers tirent sur une distance de plus de cinq cents pas et le champion a tire sur presque mille pas !
Salvien est admiratif :
- Incroyable ! Le meilleur archer de notre legion, qui est venu des iles de Bretagne, tire avec son arc gaulois sur moins de quatre cents pas.
Onegese explique avec un plaisir visible :
- L’arc hun est bien plus solide et resistant que l’arc occidental et, surtout, sa corde reste toujours tendue en place a la difference, par exemple, des arcs goths ou gaulois, dont la corde n’est mise en place et tendue qu’avant la bataille, afin que l’arc ne perde pas ses performances. L’arc hun est forme de plusieurs elements associes avec une ame en bois contrecollee de tendons au dos et de corne sur sa face interne. Sa fabrication peut durer pendant plusieurs annees. Une ame en bois est taillee dans un arbre pousse a l’ombre sur la terre humide. Les artisans ne font parfois que deux ames d’arc avec un grand tronc ! Puis vient l’assemblage corne-ame. La corne utilisee est du buffle d’eau ou d’ibex. Une fois sec, apres plusieurs semaines, l’assemblage est presque plat a l’exception des leviers. Le tendon utilise provient aussi d’ibex et des autres animaux sauvages. Il est coupe, seche et separe en fines fibres. Celles-ci sont ensuite plongees dans la colle chauffee puis deposees sur le dos de l’arc en couches successives. Vient alors la phase de sechage, de six mois a six ans, pendant laquelle le tendon se retracte et donne sa forme a double courbure a l’arc.
Salvien s’exclame:
- Je savais que l’arc hun est compose de trois couches mais ne soupgonnais pas que le processus de sa fabrication etait aussi complexe ! Nos arcs ne sont pas composites.
Oreste ajoute :
- Je sais que toutes les tentatives des ingenieurs et des artisans romains de reproduire l’arc hun ont echoue. Comme, d’ailleurs, les tentatives de faire couler du fer et de mouler des pieces d’armement et des objets de la vie courante, comme le font les Huns dans leurs ateliers de l’Oural. »
Les tentatives de reproduction des arcs turco-mongols performants n’ont pas encore reussit malgre l’utilisation de la technologie moderne.
« Onegese sourit ironiquement, puis il continue ses explications :
- Les Huns construisent des hauts fourneaux a charbon. Les ingenieurs romains dans ce domaine sont moins qualifies que les artisans du peuple qui est considere par vos empereurs comme barbare. Mais les ingenieurs romains estiment leurs homologues huns. On a eu des tentatives de corruption de nos meilleurs metallurgistes et armuriers.
Les cavaliers commencent leur competition de tir a l’arc en mouvement. Ils s’approchent des cibles avec une cadence de tir incroyable et, apres les avoir depassees, continuent de tirer avec une grande precision par-dessus leur epaules.
Oreste remarque :
- Des etriers et une selle confortable donnent plus de stabilite aux cavaliers.
Salvien le soutient :
- C’est tres important dans la bataille, et les guerriers se fatiguent moins pendant leurs mouvements. Je ne crois pas que les Huns pourraient dormir en selle, tout en continuant leur chevauchee, s’ils n’avaient pas
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d’etriers et de bonnes selles. Nos officiers aussi commencent a adopter les etriers et certaines formes d’armements huns.
Onegese dit avec ironie :
- Mais on change difficilement ses habitudes. Les Romains ne realisent meme pas a quel pont leurs attelages, qui etranglent les pauvres chevaux, sont primitifs. L’introduction du collier de cheval fera la revolution dans le transport et l’agriculture. Regardez attentivement les chariots et les fourgons huns.
Les archers commencent a tirer avec des fleches qui percent les armures. Salvien fronce le sourcil quand on installe, en guise de cible, le mannequin d’un officier romain avec une ancienne cuirasse lourde :
- Maintenant nos legionnaires preferent porter des cuirasses en lamelles de cuir.
Onegese rit :
- Et depuis l’empereur Gratien, beaucoup de legionnaires ne portent plus de casques. Tandis que la cavalerie lourde hune est cuirassee des pieds a la tete. Meme leurs chevaux sont proteges.
Salvien voit avec inquietude que les Huns ont des fleches qui percent l’armure a une distance de deux cents pas. Il se souvient d’Aetius et pense involontairement: «C’est bien d’avoir des amis si redoutables!». Il entend ensuite de nouveau la voix de Galla Placidia : «Je prie Dieu pour que le ciel au dessus de notre Empire soit moins nuageux!»
Le Romain regarde le ciel. Le soleil brille et il n’y a aucune nuage au dessus de la capitale des Huns. »
Nous ne discuterons pas la legitimite de l’utilisation du terme « empire » par rapport aux etats des Huns. A l’epoque de Modoun et d’Attila personne ne le contestait ce qui est temoigne par les traites avec les grands empires sedentaires et d’autres documents.
« Salvien fronce le sourcil et l’interrompt :
- Quelle est la ceremonie de depart de l’armee chez les Huns ?
- Le chaman blanc recite la priere a Tangra pour le succes de la campagne, lui explique Sabir. Ensuite, les generaux pretent, au nom de Dieu, serments solennels de fidelite aux khans. Les chamans blancs et les autres pretres avec les commandants des detachements font la ceremonie de purification des armes des guerriers.
- Aetius a donc prete serment solennel de fidelite aux khans ! s’exclame Salvien.
- Bien sur ! confirme Sabir. Sinon, il n’aurait pas pu avoir une armee de soixante mille cavaliers.
***
Quelques jours plus tard, le messager d’Aetius arrive et s’arrete dans une maison voisine. Le premier soir, Oreste l’invite a diner. Ce messager s’appelle Marc, c’est un officier d’Aetius et un affranchi de sa mere. Il etait avec le jeune Aetius pendant son sejour chez les Huns. Il a maintenant une cinquantaine d’annees.
Au debut du diner, Oreste donne de la nourriture a l’esprit du feu et remarque ensuite :
- C’est interessant que les Huns, qui habitaient avant si loin de nous, nourrissent l’esprit du feu !
- J’ai appris qu’ils ont le meme rite de purification des armes que nos ancetres, ajoute Salvien.
- Et ils ont des croix a quatre branches egales sur leurs drapeaux ! s’exclame Oreste. »
Il est amusant d’admettre qu’une coutume des Sakhas, qui continuent toujours de nourrir l’esprit du feu, ait ete emprunte par leurs ancetres chez les Romains. Mais c’est improbable.
« Enfin, Attila arrive avec sa belle escorte de cavaliers de fiere allure aux armures brillantes et ses fougueux coursiers. Les Romains, dans la foule des habitants de la ville, observent avec interet son entree dans la capitale. Les jeunes filles, vetues de robes blanches et fines, portent un dais sous lequel les autres jeunes filles, par groupes de sept, avancent en chantant. Elles saluent Attila et reviennent en le precedant. Les habitants de la capitale saluent la procession avec des cris de joie. »
Cette rencontre, qui rappelle les coutumes similaires des Sakha, est decrite par Priscos, diplomate grec.
« Le premier jour, Attila reunit Marc, Onegese, Oreste, Salvien et Edecon, un officier hun parlant bien latin. Le jeune khan tient un bref discours :
- Pendant mon voyage, en Oural, j ’ai rencontre un ambassadeur des Turcs bleus, peuple hunnique de l’Altai. J’ai beaucoup discute avec lui. Les Turcs sont des metallurgistes remarquables et plusieurs de leurs artisans travaillent dans nos ateliers militaires. C’est pourquoi, ils etaient au courant de ma visite des ateliers de l’Oural. Les Turcs, qui se trouvent a la meme distance de chez nous et de la Chine, sont bien informes de ce qui se passe dans le monde. La situation a change ces dernieres annees. L’Empire chinois est gouverne par les Tabgatchs, les Joujans ont cree leur grand etat plus au nord. Les Tabgatchs et les Joujans sont descendants des Huns orientaux.
« Nous le savons maintenant» pense Oreste. - « Kere-ko, Sabir, Ellak et Onegese nous ont deja explique. »
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Monument d’Attila en France (La Cheppe)
La voix d’Attila monte :
- C’est pourquoi, hormis les peuples hunniques: les Huns occidentaux, les Joujans et les Tabgatchs, il n’existe aujourd’hui dans le monde que deux forces serieuses. Ce sont la Perse et les deux empires remains qui se considerent toujours comme les centres de l’Univers. Les peuples hunniques ont surmonte toutes les difficultes survenues apres la dislocation de l’empire fonde par la volonte de Tangra et l’energie de Modoun le Grand. Ce n’etait pas facile. Le khan Oros et moi-meme, avons fait de grands efforts afin de consolider les peuples hunniques et les autres tribus du Danube a l’Oural et la mer Aral.
Cette analyse de la situation internationale bouleverse Oreste qui realise brusquement quelle force se cache derriere ce jeune homme sans aucun signe de vanite.
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Attila dit en articulant chaque mot :
- Les Huns croient que comme il n’y a qu’un seul Dieu sur le Ciel, il ne sera un jour qu’un seul souverain sur la Terre. Alors les guerres cesseront.
Alarmes, les Romains, tout a coup, se sentent mal a l’aise et se regardent. »
Jean-Paul Roux ecrit : « « C’etait l’idee forte des Turcs et des Mongols, celle qui sera repetee pendant quelque deux mille ans des Hiong-nou aux Ottomans. Avec quelques variantes dans la forme, dix fois, cent fois on relira cette phrase : « Comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, il ne doit y avoir qu’un seul souverain sur la terre » ... Cela couterait cher. Une generation serait sacrifice. Mais le resultat en vaudrait la peine s’ils n’y avait plus de guerres » ([9], p. 242).
« Puis, Attila continue tranquillement :
- Les peuples des deux Empires romains se souviennent aujourd’hui avec nostalgie de la «pax romana», les siecles de paix romaine. Mais Dieu n’est plus favorable aux Romains qui ont erige un culte de la jouissance et commis trop de peches et dont les souverains ont montre un orgueil incommensurable, puis sont tombes dans les delits de corruption. Par contre, Dieu est de nouveau favorable aux Huns, qui sont capables de maintenir la «pax hunna» du Danube a la Chine. Si nous concluions aujourd’hui une alliance avec les Tabgatchs, alors les peuples hunniques conquerraient rapidement le monde. Mais l’histoire nous a appris a etre tres prudent avec la Chine et leurs empereurs. C’est pourquoi, nous tenons a consolider et renforcer notre etat. Les Joujans nous separent de la Chine et nous preferons avoir avec eux des relations pacifiques, meme si les Turcs bleus d’Altai' nous demandent parfois de calmer les intentions expansionnistes des Joujans. Je suis realiste et pense que la progression vers la paix universelle sera longue et tres difficile. Nos actions montrent bien que nous n’avons pas d’intentions agressives envers les Romains.
Etonne de ces propos pacifiques, Oreste tend l’oreille afin de bien suivre l’argumentation du jeune khan car un doute reste au fond du charme qui s’opere peu a peu sur lui :
- Nos guerriers, qui etaient mercenaires dans les armees romaines, sont contents. Leur service donne a notre etat des revenus confortables. Nous sommes satisfaits des dimensions de notre etat car nous avons maintenant les meilleurs paturages au monde pour nos chevaux et notre betail, la richesse principale de tous les peuples hunniques. Votre historien Tite-Live pensait aussi que Rome doit dominer le monde grace au courage de ses citoyens et a la bienveillance des dieux. Maintenant vous n’avez ni l’un ni l’autre. Nous etudions l’experience des Tabgatchs qui gouvernent la Chine et ont fonde leur dynastie imperiale. La-bas, les Tabgatchs et les autres peuples hunniques forment la cavalerie imperiale, les fantassins sont chinois, l’administration chinoise reste intacte. Maintenant la Chine sort de la crise. Cette experience est tres interessante pour nous et pour les Romains. Vous pourriez aussi sortir de la crise, si nous reussissions une alliance similaire ici, en Occident. Je ne vois pas d’autre solution pour vous. En effet, l’Empire romain d’Occident ne tient que grace aux mercenaires huns. Je suis partisan de l’approfondissement progressif de nos relations afin d’essayer de realiser un jour la «pax hunna-romana», de l’Espagne a l’Oural. Peut-etre, negocierons-nous alors avec les Tabgatchs et Dieu nous aidera a realiser la paix universelle.
A cet instant Oreste pense a Julia, sourit tendrement et remercie Dieu qu’Attila ne pense pas a des incursions et a des tributs, mais reflechisse sur les opportunites de la paix :
- Je n’oublie pas les autres peuples. Rome confrontait toujours l’anarchie et le desordre dans le monde barbare. Maintenant les chose changent. Il y a plus d’anarchie et de desordre dans le monde romain. Vos armees ne sont plus assez fortes. Ainsi les Wizigoths, qui nous ont fui sans bataille, ont vaincu ensuite les armees romaines et, il y a seize ans, ont pris Rome. Les peuples germaniques sont maintenant mieux organises qu’autrefois. J’ai voyage beaucoup en Germanie. Les Gepides et les Ostrogoths sont nos sujets les plus fideles, plus fideles que certains princes huns. Leurs rois, Ardaric et Valamir, comprennent et soutiennent mes idees. Les Huns, a la difference des Romains, gardent toujours les chefs traditionnels des peuples vaincus. Nous sommes aussi arbitres dans les conflits entre plusieurs rois germaniques independants, mais aussi entre les Ougres, les Slaves et certains peuples du Caucase et de la Siberie. Nous protegeons les comptoirs sogdiens de la mer Noire a la frontiere joujane. Les Sogdiens, peuple ingenieux, laissent aux Huns et aux Joujans le soin de la guerre et s’adonnent au commerce et a l’artisanat.
Attila finit son intervention et s’assoit sur son divan. Sans aucun doute, discutait-il beaucoup de ses idees avec differents interlocuteurs. On voit qu’il sait bien utiliser cet instrument de la puissance qui est l’eloquence, aussi efficace que l’or et une arme pour le chef qui la maitrise. Onegese et Edecon regardent les Romains avec interet en attendant leur reaction.
Oreste se leve pour repondre :
- Je suis bouleverse par votre analyse. Nous, les Romains, ne savons presque rien de ce qui se passe dans l’Empire chinois et pensons que ga ne nous concerne pas. Mais ga nous concerne bien car les Huns sont venus sur les rives du Danube apres la dislocation de l’empire de leurs ancetres au nord de la Grande muraille de
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Chine. Maintenant la Grande steppe est dominee par les peuples parents, qui croient au meme Dieu et respectent les lois de Modoun khan. Je suis content que vous ne pensiez pas a des incursions et des tributs, mais reflechissiez sur les opportunites de la creation d’une Grande union des peuples du monde. Je vous connais depuis mon enfance et crois a la sincerite de vos aspirations.
Attila sourit :
- Je me souviens de vous et de votre famille. Je ne veux pas la disparition de la grande civilisation romaine. Il faut seulement changer vos relations avec les autres peuples et les esclaves. Je pense bien comprendre les Romains et je crois a la possibilite de la creation avec eux de la «pax hunna-romana» de l’Espagne jusqu’a la Siberie. Je suis pret a consacrer ma vie a cette tache difficile. Je ne proposerai pas, dans notre reponse a Galla Placidia, de conclure maintenant une alliance. Aujourd’hui, les Romains ne sont pas encore prets.
Onegese ajoute en s’adressant aux Romains :
- Depuis longtemps vos empereurs se considerent comme des dieux, portent des diademes et demandent que les gens se prosternent devant eux. Se prosterner, cela veut dire se mettre a plat ventre. A Constantinople, on doit s’avancer a plat ventre toujours, de la porte jusqu’au trone. Il faut ramper, en s’aidant des mains et des genoux, et ne pas lever les yeux avant d’avoir entendu la voix de l’empereur. A ce moment, d’apres la coutume, il faut avec grande joie baiser la botte de pourpre qu’on lui tend, puis se tenir debout, si l’empereur en donne la permission. Apres cela, on se jette de nouveau a plat ventre et regagne la porte en rampant. C’est sur, il est impossible de negocier avec des souverains pareils. »
On peut dire qu’Attila etait un vrai democrate par rapport aux empereurs romains.
« Choque, Edecon dit :
- Peut-etre, faudra-t-il d’abord diminuer leur orgueil. Les Huns de ma tribu et les Skires, peuple de ma noble femme germanique, sont prets a participer aux marches vers Rome et Constantinople. Nous commengons a etudier l’art des sieges, les catapultes et les autres machines romaines.
Attila continue sans reagir a ces declarations :
- Aetius m’informe que les Francs, les Burgondes et les Wisigoths s’activent en Gaule. Il nous demande de l’aider. Nous allons lui envoyer quelques detachements de notre cavalerie et des volontaires. Que les Romains voient plus souvent les cavaliers huns dans leur role de defenseurs et ainsi nos jeunes guerriers s’adapteront au milieu romain et s’habitueront a une solde reguliere. C’est bien aussi pour notre tresor. Nous demandons seulement de mettre fin a cette pratique de negociations directes avec les princes sans passer par notre gouvernement central. Kourdak, le prince principal du peuple «Ak-at-seri», ce qu’on peut traduire comme une «armee sur des chevaux blancs», des rives de la mer Caspienne, nous informe de nouvelles tentatives de corruption des princes par des emissaires de Constantinople afin de les susciter a l’insurrection. Nous sommes profondement indignes et ne laisserons pas impunies ces actions hostiles. Je vais ecrire a Galla Placidia mes propositions a ce sujet. »
« Kourdak » (« Kouridakh - roi des Akatzirs » dans les sources romaines) est encore un nom sakha et signifie « Celui qui porte une ceinture ». Une belle et riche ceinture chez les peuples turco-mongols etait un signe du pouvoir. Un oncle d’Attila porte aussi un nom sakha : Oi'or-Bars
(« Oebars » dans les meme sources) ce qui signifie « Leopard qui saute ».
Notons que les grands espaces n’etaient jamais un obstacle pour les Turco-Mongols. Ils pouvaient venir en deux mois de la Mongolie au bord de la Volga. Notons la rapidite des deplacements urgents dans Empire russe du XIX siecle, ainsi les rebelles « decembristes » deportes « partis de Saint-Petersbourg le 10 decembre 1826, sont a Irkoutsk des le debut de janvier », les autres parcourent « six mille huit cents verstes entre Petersbourg et Tchita » en quarante jours (Yves Gautier et Antoine Garcia, L ’exploration de la Siberie, Arles, Actes Sud, 1996, p. 300)
« Salvien n’attend pas longtemps apres son retour de la Hunnie a Ravenne. Il ne se passe pas meme une semaine que Galla Placidia ne le convoque au palais imperial :
- La lettre d’Oros (la regente prononce «Roas») et d’Attila permet d’esperer que les Huns, au moins pendant les quelques annees a venir, envisagent de garder avec nous de bonnes relations. Qu'en pensez vous ? »
Il me semble que « Roas » (transcription greco-romain) = « Oros » (version sakha d’un nom certainement ancien car il n’a pas une signification dans la langue courante). D’ailleurs mon livre « Les amis d’Attila » est un roman et ne pretend pas au statut d’une publication scientifique. Pourtant je crois sincerement a la veracite de ma reconstitution romancee de l’epoque d’Attila.
« - Attila, qui est charge des relations des Huns avec le monde romain et germanique, pense que les Romains ont eu raison de suivre le testament d’Auguste qui leur a recommande de s’arreter sur le Rhin et le
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Danube. Le roi Oros et lui-meme sont principalement preoccupes par la consolidation des Huns et des autres peuples barbares du Danube a l’Oural, par la creation de la «pax hunna» sur ces immenses espaces.
La regente le regarde attentivement :
- Oreste dit qu’Attila reve de la creation de la «pax hunna-romana» et considere que c’est la seule possibilite d’avoir une paix stable de l’Espagne a l’Oural. Il est passionne par cette idee et me demande l’autorisation de partir pour la Hunnie avec sa famille. Cet Attila est tres intelligent et charismatique.
Salvien ne s’etonne pas :
- Il m’a dit aussi qu’Attila l’invite a devenir son conseiller. Il me semble qu’Oreste est sincere dans son desir d’aider Attila a batir une «pax hunna-romana» et sauver de cette maniere la civilisation romaine.
Placidia reflechit un peu et dit :
- Ces idees d’Attila ne m’etonnent pas. Le roi goths Ataulphe ...
Salvien tend l’oreille car la regente parle de son premier mari qu’elle a epouse apres avoir ete capturee par les Goths afin de sauver l’empire ! »
La destinee d’Oreste et sa carriere dans le gouvernement d’Attila et, apres sa mort, dans l’Empire roman d’Occident qu’il a gouverne a la fin de sa vie au nom de Romulus Augustule, son fils, donne beaucoup de themes pour les reflexions.
« La regente continue apres une pause :
- Ataulphe, apres les victoires en Italie, avait le vertige de ses succes. Il a commence a rever de remplacer les Romains par les Wisigoths comme une nation dominante dans notre empire, c’est-a-dire, il pensait a la «pax gothica» sur le territoire de l’Empire romain d’Occident. Mais apres nos discussions, il a compris que les Goths n’etaient pas habitues a respecter les lois et n’etaient pas assez nombreux. C’est pourquoi, il a commence a penser de la «pax gothico-romana» et decide de quitter l’Italie avec ses Wisigoths.
Salvien remarque :
- Les Huns sont les heritiers d’une ancienne tradition imperiale. Ils sont assez nombreux et occupent des territoires immenses. Autrefois, les Huns pouvaient mobiliser contre la Chine une armee de 400 000 cavaliers. Il n’est pas exclu qu’ils puissent le refaire aujourd’hui si leur appel est entendu assez loin, jusqu’a l’Asie profonde. Ils ont aussi parmi leurs vassaux les Germaniques et plusieurs autres tribus.
Placidia l’interrompt brusquement :
- Vous ne pensez pas que cette idee de la «pax hunna-romana» peut en realite dissimuler l’intention d’Attila de creer avec son ami Aetius un nouvel Empire romano-hunnique ? Qu’avez-vous appris sur leurs relations et leurs plans ?
L’officier boit du jus de fruit dans un verre apporte par une jeune esclave :
- Attila admire votre decision de venir en 410 a Rome assiegee afin de soutenir ses defenseurs. Il a exprime l’espoir que vous eleveriez Valentinien en bon empereur, courageux et droit, digne de son pere Constance.
La regente sourit :
- Oreste me l’a dit aussi.
Salvien continue avec conviction :
- Il me semble qu’Attila est un homme religieux, qui croit en un Dieu unique et tout puissant, habitue a se soumettre au Code hun de Modoun khan, connaissant bien les lois et les coutumes romaines. Le roi Oros est un souverain pacifique et honnete, qui a consacre sa vie a la renaissance et a la consolidation de l’unite des Huns occidentaux. Je pense qu’ils ne chercheront une alliance qu’avec des souverains legitimes des Empires romains. Mais evidemment, pour Attila, il serait agreable de voir Aetius commandant en chef des armees romaines.
De nouveau, Placidia l’interrompt brusquement :
- Par contre, ce serait desagreable pour moi car alors nous serions les marionnettes des Huns. Oreste dit qu’Aetius a prete serment solennel de fidelite aux Huns.
Salvien raconte ce qu’il a appris de plus interessant sur les relations d’Attila et d’Aetius. Les sourcils fronces, la regente ecoute sans l’interrompre. »
Meme Ataulphe, petit roi, avait des grands projets. C’est pourquoi, je suis sur de la capacite d’Attila de concevoir de tres grands projets.
« Oreste se reveille et respire l’air leger du matin avec la merveilleuse saveur du printemps. Depuis longtemps deja, il a appris a dormir sur sa selle comme les Huns. Combien d’evenements et d’impressions ! Ils avancent pendant plusieurs semaines vers l’est a la rencontre du soleil. Avant ils ont passe un mois au Caucase. Sur l’ordre d’Oros khan, les princes et les chefs qui etaient les vassaux du khan Oer-Barse, mort recemment, ont prete serment de fidelite a Attila. Le serment donne au nom de Tangra, les lois de Modoun khan et l’autorite d’Attila assuraient la soumission de ces sujets.
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Le soleil vient de se lever. Sur l’horizon on voit les montagnes bleues.
Attila s’ecrie :
- Altai! Le pays de nos ancetres !
Le prince Ellac et les cavaliers de l’escorte poussent des cris de joie :
- Hourrah ! Oroui ! Aikhal !
Apres quelques heures de course folle, ils s’arretent au bord de la riviere, chez le prince des Turcs, flatte par la visite de tels hotes de marque. La tribu locale ne fait pas partie de l’etat d’Oros et Attila, mais garde toujours sa neutralite car elle eprouvait du sud la pression des Joujans. Le dialecte turc se distinguait de celui de la plupart des Huns rencontres par Oreste, mais etait tout a fait comprehensible.
Le prince turc dit :
- Nous vivons aussi selon les lois de Modoun khan et nous supplions Tangra du retablissement de l’unite de toutes les tribus solaires hunes avec les brides sur le dos. Puisqu’au ciel il n’y a qu’un seul Dieu, sur la terre il ne doit etre qu’un seul souverain, qui garantira la paix entre tous les pays. Les Joujans possedent les terres principales des anciens Huns et pensent que ce sont eux qui doivent retablir l’empire hun, mais ils ne suivent pas toujours les lois de Modoun khan. Ils disent, que les Tabgacths servent avec trop de zele les interets de leurs sujets chinois.
On commence a parler ensuite de l’itineraire ulterieur d’Attila qui veut parvenir cette fois jusqu’au centre du premier empire hun. Le prince dit :
- Personne, sauf le khan des Joujans, ne peut vous empecher de visiter les tombes de vos ancetres. Je pense, que lui aussi n’osera pas vous empecher et, peut etre, sera-t-il meme tres content de vous rencontrer. Je peux aller le voir avec un de vos officiers afin de lui expliquer vos intentions. Vous pouvez aller tranquillement vers Baikal, la-bas je vous retrouverai. Nos voyages doivent normalement avoir la meme duree. Ensuite je voudrais aller avec vous vers la riviere Orkhon. C’est aussi interessant pour moi de visiter ces endroits. »
Les Turc d’Altai moins d’un siecle apres Attila on fonde un grand empire. Leur ancetres etaient dans le premier empire hun, fonde par Modoun. Les souverains turcs ont attestes sur leurs inscriptions qu’ils etaient tangraiste, que leur pouvoir vient de Tangra (« uze kek Tengri »). Cette utilisation du nom de Tangra pour la legitimation du pouvoir supreme montre que la foi tangraiste etaient depuis deja longtemps une religion traditionnelle et reconnue des peuples et des tribus de cet immense empire.
« Puis il commence a parler de la religion :
- En route vous passerez par les terres des tribus hunes : Sakha, Ouigour, Ourankhai, Kanglas, Kyrgys, Touva, Khoro, Toumat et les autres. Certaines d’entre elles, sous l’influence de leurs voisins paiens, pensent qu’Aiy Tangra, Ar Tangra et Urun Tangra sont des dieux divers, et non les noms differents du Dieu unique et tout puissant.
Le chaman blanc de la suite d’Attila avec un aigle bicephale en or sur le front de son chapeau explique patiemment :
- Chez les Sakas et Alains le mot «ar» signifie «dieu», c’est pourquoi l’expression Ar Tangra, que nous utilisons souvent dans nos prieres, signifie «Dieu Tangra». L’expression solennelle «Aiy Tangra» est interpretee comme «le Createur Tangra», car le mot «aiy» signifie «createur». Tangra est le Dieu createur, unique et tout puissant, les autres divinites sont ses creatures par qui il exprime son pouvoir.
Le prince remarque :
- Au nord, les gens ont presque oublie, qu’il existait reellement sur terre un souverain Modoun khan. Ils pergoivent Modoun khan ou Odoun khan comme le dieu du destin qui se trouve au huitieme ciel.
Le chaman explique :
- Odoun khan etait elu par Dieu lui meme, sinon il est impossible d’expliquer ses grandes victoires et le succes de toutes ses actions. Nous interpretons les lois, formulees par lui, comme des commandement divins. Ces commandements sont rigoureusement respectes jusqu’a present par tous ceux qui croient sincerement a Tangra. L’ame de Modoun khan soutient la liaison permanente avec ses descendants, pour les proteger."
Ainsi j’explique l’interpretation polytheiste de la religion tangraiste, propre a beaucoup de Sakhas, par l’influence des peuples autochtones du Grand Nord. Jean-Paul Roux note : « L’insoumission, les offenses faites au Kaghan (empereur) sont autant d’insoumission, d’offenses a Dieu. La guerre sainte de Tengri et de son Kaghan n’est pas dogmatique. Elle est seulement dirigee contre l’anarchie des steppes, contre les chefferies, contre le totemisme, plus encore contre la multiplicite des pouvoirs qui imposent une vision polytheiste. Elle repond a un profond desir de l’unite, a une volonte de paix universelle. » ([6], p. 113).
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« Rive occidentale du lac Baikal. Attila et sa suite sont montes au sommet d’une haute montagne, sacree pour les habitants du pays, pour regarder le soleil levant. Oreste, qui sait que les Huns recitent silencieusement des prieres courtes, commence aussi en silence sa priere chretienne.
Quand le soleil monte, Attila demande a sa suite de le laisser avec Ellak et de redescendre au camp en bas de la montagne. Le pere et le fils regardent longtemps le grand lac des ancetres. Attila a vu les mers Mediterranee, Noire, Caspienne, Aral, Baltique et la mer du Nord, mais n’a jamais eprouve une telle emotion. Il respire profondement, avec bonheur et delice, a grandes goulees l’air frais ; contemple ces eaux et ces montagnes bleues, pour ne point les oublier ; s’enivre de l’odeur de la taiga et des steppes.
Puis Attila se calme et dit a son fils :
- Nos ancetres ont ete obliges de quitter ces terres. La Chine dressa contre eux les peuples voisins et brouilla les chefs. Beaucoup de generations de nos ancetres vivaient paisiblement entre l’Oural et la mer d’Aral. Un jour, Tangra leur envoya une biche avec des cornes d’or, qui les guida vers la gloire militaire, leur rappela la grandeur de nos ancetres. Maintenant nous avons cree notre puissant El. Et ton nom Ellak signifie «Celui qui possede un etat» ou «Paisible», car le mot «el» a les deux significations «etat» et «paix». Tu sais que les Huns ne peuvent meme pas sortir leurs armes de leurs fourreaux sans l’ordre du khan. Nous avons ainsi une responsabilite immense, nous seuls repondons devant Tangra des victimes inevitables des guerres pour l’ordre sur la terre. La vie humaine est courte, je m’occuperai de la paix et de l’ordre a l’Ouest. Tu continueras cela ensuite a l’Est sur la terre de nos ancetres.
Attila et Ellak detachent leurs ceintures et les mettent a leurs cous. Ils s’assoient ensuite sur le rocher et communiquent longtemps dans leurs esprits avec Tangra. »
Cette scene est inspiree par le comportement des autres souverains tangraistes. Par exemple, Gengis Khan, en 1219 avant la guerre contre l’Empire du Kharezm, est monte sur une haute montagne et communiqua pendant trois jours dans son esprit avec Tangra. En 1241, le Batu Khan, avant d’engager la bataille decisive contre les Hongrois, Batu, comme le faisait son grand-pere, s’etait retire sur une hauteur pendant vingt-quatre heures pour invoquer le Ciel.
« Au camp, ils sont attendus par le prince d’Altai qui vient d’arriver avec un prince joujan, qui les salue par ces mots :
- Mon pere, le ka-khan des Joujans salue le khan Attila et le prince Ellak ! Je vous accompagnerai au bord d’Orkhon, oh il vous attend.
Commence ensuite le festin amical avec des flots de koumyz petillant. Oreste remarque que la langue joujane est deja plus difficile a comprendre et que les interlocuteurs doivent parfois recourir a l’aide des Turcs. Mais plusieurs joujans parlent bien le dialecte d’Altai'. La possibilite de se comprendre presque sans traduction donne a tout le monde un grand plaisir. Ellak remarque :
- Les commergants tabgatchs viennent jusqu’a la Volga. Nous comprenons leur langue.
Les Joujans froncent les sourcils :
- Ils perdront bientot leur energie hune et se transformeront en Chinois. Plusieurs Tabgatchs vivent dans les villes, les fonctionnaires chinois ont commence a separer l’empereur des guerriers. Ils le considerent deja comme leur souverain et pas comme le khan des Tabgatchs. Nous avons des relations difficiles.
La conversation touche a la vie locale. Nur-gun, un des guerriers joujans, explique :
- Ici se terminent les steppes. Non loin commence le grand fleuve Lena, sur le bord duquel je suis ne. On dit, qu’il se jette dans l’Ocean glacial. La il y a peu d’habitants. Les gens vivent principalement de chasse et de peche.
Le prince d’Altai' corrige :
- Une partie des Sakas avec de hauts nez et les yeux clairs, vivant avant nous a Altai, est partie pour ce pays. Certains continuent a vivre jusqu’a maintenant dans nos montagnes. Ils parlent une langue, proche de la notre et sont eleveurs de betail.
Nur-gun confirme cela :
- Mes ancetres etaient de cette tribu. Afin d’atteindre l’embouchure de ce fleuve il faut rester sur un radeau, porte par le courant, pendant tout l’ete. La-bas, le soleil en ete ne se couche pas ...
Oreste ne croit pas a ce recit. »
Il est agreable que les Sakhas perpetuent le nom des Sakas. Visiblement, l'ancienne civilisation saka etait si prestigieuse qu’on gardait encore recemment les souvenirs de sa splendeur.
« Dans les steppes, du lac Baikal jusqu’a l’Orkhon, les voyageurs remarquent les traces des anciennes villes. Ils voient des hameaux de maisons octogonales en bois. Une partie de la population vit dans des maisons semi-enterrees en brique et en pierre. L’entree des maisons est toujours a l’est. Le foyer se trouve dans l’angle nord-est. Oreste s’etonne, que le tuyau de cheminee passe sous les lits et les bancs le long des murs afin d’augmenter le rendement du chauffage du foyer.
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Oreste se rappelle une couche noire produite par la fumee sur les murs des maisons des Romains simples. Les maisons traditionnelles romaines ne comprenaient qu’une piece. Elle servait de cuisine, de cantine et de chambre a coucher. Certains pensent, que son nom «atrium» vient du mot «ater» («noir»)car elle n’avait pas de tuyau de cheminee. Pour cela et pour l’eclairage n’existait qu’un trou rectangulaire au centre du toit. La lumiere entrait aussi par la porte. Les fenetres n’existaient pratiquement pas. Certaines maisons possedaient des pieces divisees par des cloisons. On avait d’habitude une remise en planches nommee «tablinium» du mot «tabula» («planche»). Les Romains ont appris a construire de telles maisons des Etrusques. Avant ils n’avaient que des cabanes rectangulaires ou rondes sans fenetres et meme sans trou pour la sortie de la fumee. »
Il ne faut pas oublier que la civilisation romaine etait pendant longtemps tres rustique.
« Au bord d’Orkhon ils voient un camp militaire avec une tente royale au milieu. Le ka-khan les rencontre amicalement :
- Je salue le khan et le prince du grand El des Huns de l’Ouest ! Je suis content que vous ayez decide de visiter la terre et les tombes de vos ancetres.
Un grand festin commence. En levant une coupe de vin chinois, le ka-khan dit :
- Nous avons ici un scientifique chinois d’origine hune, Bilguen. Il est venu, lui aussi, visiter la terre de ses ancetres. Son recit sera interessant pour nous.
Bilguen, apres quelques formules de politesse, commence son recit avec plaisir :
- Vous connaissez bien les legendes sur Modoun. J’entendais des recits presque identiques des simples guerriers tabgachts en Chine, des bergers sur les bords d’Orkhon et dans les montagnes d’Otuken. C’est pourquoi, je vous raconterai seulement les details sur la fondation de l’empire hun communiques par Syma Ciane. Il y a environ six siecles et demi, Modoun a fait ses premieres incursions en Chine, oh venait de tomber la dynastie Cine. Le nombre de sa troupe etait evalue a 300.000 personnes. L’empereur Gao-Tzou conduisit personnellement les troupes contre Modoun, mais les Huns ont applique la tactique ordinaire des cavaliers des steppes. En feignant la fuite, Modoun a attire les detachements chinois dans un piege et a encercle l’avant-garde de l’armee chinoise avec l’empereur pres du village Baidyn, non loin de la ville de Pintchen. Modoun avait quatre armees qui se distinguaient par les couleurs des chevaux : blanc, gris, moreau et roux.
Ellak s’exclame :
- D’oh vient notre armee sur les chevaux blancs : le peuple Ak-at-seri!
L’animation est generale. Bilguen continue son recit :
- Gao-Tzou etait oblige de conclure avec Modoun un accord de paix et de parente, de lui donner une princesse pour epouse et de s’engager a payer un tribut annuel. Modoun a cree une puissance, tellement forte, que les Chinois la comparaient avec l’Empire du Milieu. Trente ans apres un prince hun frontalier attaqua la Chine. L’empereur a mobilise l’armee, mais les Huns n’ont pas livre bataille. La cour chinoise, en prenant en consideration la force des Huns, a restaure avec eux des relations de paix. Selon un nouvel accord, la puissance hune etait reconnue egale de l’Empire chinois, et les deux empereurs se nommaient l’un l’autre freres. La meme annee les Huns avait d’importantes victoires a leur frontiere occidentale...
Tout ce que voit et entend Oreste, confirme l’analyse d’Attila de la situation internationale. Attila conclut avec le ka-khan un accord d’amitie qui prevoit le respect de la zone des peuples et tribus neutres. Celles-ci pouvaient accepter une proposition de participation aux incursions a l’est, entreprises par le kha-khan des Joujans ou dans les entreprises a l’ouest, conduites par Attila. »
« Le ka-khan propose aux visiteurs :
- Vous pouvez maintenant aller regarder et visiter la Grande muraille de Chine construite contre nos ancetres communs. Apres votre grand voyage, cela ressemblera a une petite promenade.
Les yeux d’Ellak et d’Oreste s’enflamment. Attila dit :
- Nous devons revenir bientot sur le Danube. Cette fois notre voyage est trop long. Mais je brule, moi aussi, du desir de contempler cette Grande muraille qui temoigne si bien de la puissance de nos ancetres.
Accompagne par Bilguen qui connait bien le gouverneur tabgatch de la province frontaliere, Attila et sa suite font un voyage fascinant a la ville frontaliere chinoise, montent sur le mur et admirent les steppes infinies au nord et la province peuplee au sud. Attila decline avec regret une aimable proposition du gouverneur d’aller avec lui rencontrer l’empereur tabgatch de la Chine et confie a Edecon la mission d’aller a la capitale de la Chine accompagne par Bilguen. On organise un banquet final dans une tour de la Grande muraille, sur le toit de laquelle sont hisses a cette occasion les etendards tabgatchs, huns et joujans. »
Bouvier-Ajam pense qu’Attila a rencontre un gouverneur chinois (en fait tabgatch) et a signe avec lui un traite.
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« Aetius, pris en tenaille entre les troupes de Galla Placidia et Theodose, ordonne a Litorius de defendre Arles et, sans perdre de temps, part avec son fils pour la Hunnie. Attila accueille son ami a bras ouverts et tape son fils sur l’epaule:
- Comment le temps passe vite ! Quand j’ai quitte l’ltalie, Gaudentius n’avait que deux ans. Maintenant il est deja un jeune et brave officier. D’ailleurs, mon fils Ellak a deja dix-huit ans.
Aetius, content de ce chaleureux accueil, sourit :
- Gaudentius a quatre ans de plus qu’Ellak. Je suis au courant que vous avez fait avec votre fils le voyage au pays de vos ancetres et jusqu’a la Grande muraille de Chine. Vous etes certainement les plus grands voyageurs de notre temps ! »
On dit que « les voyage forment la jeunesse ». Attila avait certainement le plus vaste horizon intellectuel parmi les grands souverains de son epoque, il etait beaucoup mieux informe.
« Attila prend l’air serieux :
- Mais, pendant ce voyage, il se passait chez vous des evenements etranges : Galla Placidia reconnait comme vainqueur une personne qui a perdu toutes les batailles en Afrique. Elle frappe une medaille a l’honneur, on ne sait, de quelles victoires, le designe commandant de toute l’armee romaine et le nomme patrice.
Aetius dit d’une voix fatiguee :
- Elle ne peut pas me pardonner le soutien de Jean et l’intervention des Huns, ses concessions involontaires. Placidia voulait, en s’appuyant sur le comte Boniface et le roi Theodoric, me supprimer et se delivrer de la dependance des Huns. Elle diffusait les rumeurs les plus absurdes sur moi afin de me compromettre. Boniface est alle jusqu’a la fabrication de fausses lettres ! Maintenant je suis declare insurge et Sebastien, le fils incapable de Boniface, est proclame Protecteur de l’empire !
Attila pose plusieurs questions. Avec l’air indigne d’une personne injustement accusee, Aetius repond vite et avec assurance :
- Je defendais mon honneur. Et je ne pouvais pas admettre que Boniface, incapable, leger et perfide, commande toute l’armee a cette epoque difficile. Je l’ai vaincu en duel honnete. Dieu nous a juges. Quant aux Wisigoths, presque tous leurs rois meurent des mains des assassins. Ils ne sont pas capables actuellement d’une vie politique stable. Afin de preserver la paix et maintenir l’ordre, je dois devenir commandant en chef de toute l’armee romaine et patrice. Je vous demande donc de me donner encore une fois une forte armee.
Attila reflechit :
- Dans les interets de la paix et de l’ordre a l’Ouest et dans nos propres interets nous te soutiendrons. Je parlerai aujourd’hui avec mon oncle.
Aetius se rejouit :
- Merci mon cher Attila ! Nous pourrons alors assurer ensemble l’ordre de l’Afrique et de l’Espagne jusqu’a l’Oural et la mer d’Aral ! Mais seulement nous devons nous presser et agir tres vite. La derniere fois, je suis arrive trois jours trop tard. Seulement trois jours! Si alors je n’etais pas arrive en retard, nous n’aurions maintenant aucun probleme ! »
Aetius et Jean, eux-aussi, avaient sans doute les grands projets politiques.
« Oros regarde attentivement Attila :
- Pendant votre voyage au pays de nos ancetres, circulaient des rumeurs etranges sur les relations entre Aetius, Boniface et Placidia. On disait qu’Aetius etait perfide et menait un double jeu. Je commence a beaucoup douter des qualites humaines de ton ami et je ne lui accorde plus une aussi grande confiance qu’auparavant. Mais il a raison de dire que nous n’avons effectivement pas le temps pour de longues reflexions.
Les deux khans commencent l’analyse de la situation et discutent des conditions du contrat avec Aetius :
- Nous lui accorderons une armee de cavaliers. Je pense que, comme la derniere fois, soixante mille cavaliers lui suffiront. Maintenant, nous pouvons mobiliser une telle armee en dix jours. Il faut engager davantage de guerriers qui parlent latin, trouver tous les anciens officiers huns de la Garde romaine imperiale et de la cavalerie romaine. On peut designer comme adjoint d’Aetius un de nos princes ayant le titre de general romain. Cela permettra en plus de demander une remuneration digne de leurs titres. Il faut mettre toutes les tribus et tous les detachements militaires en etat d’alerte. »
Beaucoup de Huns etaient officiers et meme generaux romains. L’empereur Honorius, les patrices Stilicon et Aetius avait chacun une garde hune.
« Cela exige de grands efforts et engendre le risque d’une guerre avec les deux empires romains. On ne peut pas plaisanter avec de telles choses ! En 425, la situation etait plus simple. Nous pensions aider un empereur legal elu par le senat et il n’existait pas un risque grave similaire. Par consequent, Aetius doit assumer des obligations beaucoup plus fortes que la premiere fois.
Le khan Oros dit :
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- Nous verifierons ensuite les rumeurs sur l’incertitude et la perfidie d’Aetius. On ne peut cacher la verite dans un sac. En attendant nous agirons en conformite avec les commandements de Modoun khan et utiliserons les methodes de controle de l’execution des contrats testees pendant des siecles. Aetius doit preter deux serments solennels de fidelite a ses engagements : devant nous et devant toute l’armee, et nous laisser des otages. Avec qui est-il venu ?
- Avec son fils Gaudentius.
Satisfait, Oros remarque :
- Il est pret a tout et a tout prevu. Comme il nous connait bien ! Par contre, nous ne comprenons pas bien son ame romaine compliquee. »
On peut supposer que les lois de Modoun Khan ont codifie le systeme du controle des peuples vaincus avec la prise des otages, des serments de fidelite, de leur imposition, etc
« Les troupes en partance sont rangees devant les portes principales de la capitale. Le vent fait flotter les etendards et les drapeaux, les cuirasses et les casques des guerriers brillent au soleil. Dans chaque detachement, le soir precedent, les chamans blancs ont effectue la purification des armes par la fumee. Aetius passe en revue, sous le roulement des tambours, bas et solennel, tous les detachements de l’armee et s’arrete devant Oros et Attila. Il descend de cheval et se tient dans une pose respectueuse devant les khans, assis en selle. Le silence s’installe. Aetius prononce en hun le serment solennel de fidelite et embrasse l’etendard royal, bleu clair avec le soleil et la lune. Ensuite un eveque chretien avec la Bible s’approche de lui. Aetius repete son serment en latin avec la main sur le livre sacre. Le khan Oros lui remet solennellement l’etendard de combat, Aetius l’embrasse et le remet a Marc qui se tient derriere lui.
Le khan Oros sort le glaive et le leve vers le ciel :
- Je nomme le general Aetius qui vient de nous preter un serment solennel de fidelite, commandant de l’armee afin de realiser notre accord conclu pour retablir l’ordre sur la terre. Au nom de Tangra et en conformite avec les lois de Modoun khan je vous permets, vaillants guerriers des tribus solaires, de retirer vos armes de vos fourreaux sur son ordre.
Aetius et tous les guerriers sortent les glaives, les levent vers le ciel et crient trois fois :
- Hourrah! Ouroui' ! Ai'khal !
Aetius donne un ordre et l’armee, detachement apres detachement, sous le roulement des tambours, defile devant les khans dans un ordre irreprochable et se met en marche. Anxieux, Gaudentius regarde la ceremonie. Il reste dans la suite d’Attilla, les autres otages romains seront envoyes dans la deuxieme capitale des Huns et d’autres villes au fond des steppes. »
« Le serment solennel, fait a face de Tengri, est garanti par Lui, d’oh sa valeur insigne et son inviolabilite » ([6], p. 120) .
« Des le debut de l’an 435, Attila adopte officiellement le titre d’empereur et se dit le «Roi empereur» ou «Empereur du Nord, roi des Huns». Ces titres montrent, qu’il se considere comme le fondateur et le chef souverain d’une grande federation des pays et des peuples autonomes creee sous l’egide des Huns. Tous les khans et princes vassaux, les rois des peuples germaniques et scythes, les chefs des autres peuples soumis lui portent un serment solennel de fidelite. Mais Attila a bientot une occasion de voir encore une fois la perfidie de Theodose et de ses conseillers.
En 437, les emissaires de Constantinople violent l’accord de Margum et entreprennent une tentative de corruption des princes du peuple hunnique Ak-at-seri, en distribuant de l’or et des cadeaux precieux. Aux yeux d’Attila, les princes, qui violent les conditions de cet accord et les lois de Modoun khan, sont deux fois coupables. Sachant que, pendant ce temps, des troubles ont commence parmi les Alains caucasiens, qui etaient les vassaux des Huns depuis deja soixante ans.
Tous les princes huns, impliques dans des negociations separees avec les messagers du gouvernement de Constantinople, sont supprimes selon les lois severes de Modoun khan. On evite par respect de faire couler du sang pour les princes les plus influents : on leur casse les vertebres, on les etouffe en remplissant leur gorge avec de petits cailloux, on les place dans des sacs cousus puis jetes sous les sabots de la cavalerie. Les moins puissants sont decapites, on utilise meme des supplices spectaculaires comme la crucifixion empruntee aux Romains.
Le prince principal Kourdak reste vivant puisque c’etait lui qui avait prevenu Attila de l’arrivee des emissaires romains. Pourtant il est clair pour Attila, que le vieux prince n’accomplissait pas bien ses devoirs.
Conscient du danger le menagant, Kourdak se refugie avec ses plus fideles dans les montagnes et repond a l’invitation d’Attila de venir le voir de fagon eloquente :
- Je suis une personne ordinaire qui peut devenir aveugle, s’il ose regarder fixement le soleil. Comment puis-je alors regarder le visage du Grand khan semblable au soleil et place sur le trone par la volonte de Tangra !
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Attila decide de cesser la poursuite du vieux prince, mais de le priver du pouvoir. Il proclame son fils aine Ellak khan de la Hunnie orientale. Le peuple Ak-at-seri, qui pouvait etre severement puni par suite de l’avidite de ses chefs, etait content d’une telle issue a une situation aussi delicate.
L’annee suivante, Attila perd son frere Bleda, le deuxieme chef de l’Empire hun. Personne ne le remplace. Ainsi l’empereur Attila, roi des Huns, renforce davantage son pouvoir afin de consolider le jeune Empire hun qui etait en fait une grande federation de peuples autonomes. C’est pourquoi il est particulierement bienveillant pour Ardaric, le roi des Gepides et Valamir, le roi des Ostrogoths, qui accomplissent soigneusement leurs devoirs de vassaux.
Progressivement le pouvoir de l’empereur Attila se renforce tellement qu’Oreste voit souvent, satisfait et admiratif, la foule des autres rois et les chefs des divers peuples, l’accompagnant, epiant ses moindres mouvements et des qu’il leur faisaient un signe du regard, chacun d’eux, en silence et en tremblant, venait se placer pres de lui ou executait les ordres qu’il avait regus ; Attila, roi des rois, seul, veillant sur tous et pour tous. »
Les propos de Kourdak parlent beaucoup sur la perception du pouvoir d’Attila par les Huns.
« En 439, un miracle confirme l’origine divine du pouvoir d’Attila. Un berger hun de la steppe, a l’est du Don, voit boiter une de ses genisses. Il examine les pieds de l’animal et voit une blessure. Suivant avec attention la trace sanglante, il decouvre avec une immense surprise la pointe d’un glaive d’or, qui sort perpendiculairement de la terre. Les anciennes tribus scythes avaient un dieu de la guerre et de la victoire, Ar-Es, qu’ils representaient par une epee. C’est pourquoi, tout de suite, la trouvaille de cette epee s’interprete dans les steppes de la mer Noire comme un message divin.
La rumeur de cette decouverte se repand rapidement du Danube jusqu’a la frontiere chinoise, de la mer Baltique jusqu’a la mer Caspienne. Des feux de joie s’allument chez toutes les tribus hunniques, qui considerent, elles-aussi, la trouvaille de l’epee d’or comme un message de Tangra. Dieu donnait a l’empereur hun la victoire, il l’informait qu’il etait de son cote pour toutes ses affaires et l’engageait a aller de l’avant dans la realisation de ses projets.
Les etats voisins et les empires eloignes sont informes par les ambassadeurs. Ainsi Edecon visite de nouveau la Chine. Les empereurs romains felicitent Attila de cette trouvaille extraordinaire. Les chefs et les representants des peuples de l’Empire hun et des regions voisines viennent a la capitale admirer l’epee divine.
Attila expose cette epee dans une salle de son palais en mettant a cote d’elle un superbe fourreau scythe en or. On admire deux tetes opposees de bovides et la double frise de cavaliers chassant des gazelles sur la poignee, le decor cisele de la lame de part et d’autre de son arret central. Le fourreau est orne de magnifiques bas-reliefs d’animaux en lutte : griffons, lions, cerfs et cheval ; un lion-griffon, cornu et aile, pret a bondir, sur l’attache.
Plusieurs chefs allies pretent serment de fidelite a Attila et deviennent ses vassaux, de nombreuses tribus neutres deviennent des alliees. »
La trouvaille de l’epee d’or a ete un des evenements marquants de la vie d’Attila et a beaucoup frappee l’imagination de ses contemporains.
« Honoria revait de gens honnetes et courageux, directs comme elle. Elle souffrait dans cette atmosphere de meurtres, d’intrigues et d’hypocrisie. Elle tentait de parler avec sa mere, mais Galla Placidia etait entierement absorbee par les intrigues contre le perfide Aetius, si puissant grace au soutien des Huns.
***
Elle entendait tout le temps parler des Huns. Honoria les avait vus pour la premiere fois en 425, annee d’angoisse pour sa famille, quand les detachements de leur cavalerie, dans un ordre irreprochable avec les armures et les armes etincelantes au soleil, ont passe en fier defile devant la colline oh elle se trouvait a cote de son frere, qui venait de devenir empereur, et sa mere devenue regente. La princesse avait alors huit ans. Elle sentait la nervosite de sa mere et de son entourage. C’etait Aetius qui commandait ce defile, il venait ensuite a Ravenne toujours accompagne de ses officiers et des gardes huns.
On parlait beaucoup du passage de l’ambassadeur Oreste au service d’Attila. Alors Honoria comprit, que les Huns ne sont que des hommes braves et courageux, mais que leurs rois menent une grande politique. Comme tout le monde, Honoria etait eblouie par la nouvelle de la trouvaille par Attila de l’epee d’or de la Victoire.
Elle comprend qu’Attila est aussi un empereur au meme titre que les empereurs romains, qu'il n’est pas faible et sans caractere comme son bon oncle Theodose mais, tout au contraire, qu'il a des projets interessants et la volonte de les realiser. Honoria n’attendait pas de son oncle un heroisme militaire ou de l’art strategique. C’etait un bon juriste, un grand codificateur du droit romain, mais il n’utilisait meme pas cette competence pour la gestion de son pays.
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L’empire etait dirige par deux Augusta en lutte et les Grands eunuques. Honoria voyait que la cour de Constantinople copiait les mmurs de la cour persane, etrangeres a elle. Par exemple, les eunuques ne jouaient pas un grand role a Ravenne, tandis qu’a Constantinople, ils etaient organises en puissante corporation selon le modele persan. Il leur etait facile de trouver une entente avec Pulcherie qui limitait l’acces au palais des hommes.
Honoria voit dans son reve Attila sur un cheval blanc avec une epee d’or. Elle n’etait pas depuis longtemps avec un homme. Et elle veut tellement aimer un vrai homme ! Mais Attila est, quand meme, un Barbare. Eh bien, quoi alors ? En effet, sa mere Galla Placidia etait marie au roi barbare Ataulphe. Mais elle a fait cela dans les interets de Rome. Le noble Oreste est passe au service d’Attila, d’apres lui, aussi dans les interets de Rome ! Mais si elle, Honoria, se mariait avec Attila, elle ferait pour Rome beaucoup plus. Ataulphe etait un petit chef en comparaison de l’empereur Attila derriere lequel suit la foule des rois ! Alors cesseront les intrigues du perfide Aetius. Rome recevra la cavalerie invincible et les frontieres de l’Empire romano-hunnique s’etendront jusqu’a la Chine !
Mais Attila aime beaucoup Kerka. On dit qu’elle est tres belle et tres intelligente. Devenir la deuxieme femme ? Elle, princesse romaine, qui etait Augusta et avait donc avec son frere Valentinien presque les meme droits sur l’Empire romain d’Occident ! Non, Honoria ne peut etre que la premiere ! »
Les Romains se consideraient tellement superieurs aux autres peuples, qu’ils ne pratiquaient pas les mariages dynastiques dans les buts diplomatiques.
« - Ils ont ose piller les tombes des princes huns ! Et vous dites que c’est un eveque de Margum qui a commis ce crime !
Cet incident grave, qui choque terriblement l’empereur du Nord, se produit au mois de juin de 441, quelques jours apres la fete du Soleil.
Oreste confirme :
- Notre patrouille a remarque l’eveque Andoche avec ses hommes, quand il demarrait pendant la nuit du bord du Danube, loin des endroits ordinaires de traversee. La patrouille a suivi leurs traces decouvertes derriere les tombeaux pilles.
Onegese lance avec amertume :
- Et c’est une personne qui apprend aux autres la morale, consacre plusieurs heures par jour aux enquetes judiciaires et aux proces, delibere des jugements !
Attila dit tristement :
- C’est le crime le plus lourd pour les peuples des steppes.
Onegese rappelle un exemple historique significatif :
- Quand Darius, le roi des Perses, a decide de soumettre la steppe et apres une longue marche a propose aux Scythes de lutter, ces cavaliers lui ont repondu: «Trouvez et pillez les tombes de nos ancetres, alors nous nous battrons surement !» Bien sur, Darius n’a pas fait un tel sacrilege et est rentre dans son pays avec son armee fatiguee.
Attila conclut :
- C’est triste, que cet incident ait eu lieu pres de Margum, oh nous avons signe un traite qui devait servir au renforcement des relations pacifiques, mais qui etait toujours viole par Constantinople. La coupe de notre patience deborde ! La Foire internationale de Margum commence bientot. Il n’est pas exclu qu’il y ait une tentative de vente des objets pilles. J’ordonne d’effectuer un raid pendant cette foire et de confisquer l’argent et les objets precieux chez les participants romains pour le remboursement du dommage et afin de chercher des pieces a conviction contre l’eveque ! S’il tombe sous la main des guerriers, il faut l’arreter pour l’interroger !
L’ordre d’Attila est execute par un detachement hun, mais l’eveque ne se trouve pas a la foire au moment du raid.
Apres ce raid, commence un echange de lettres entre les deux empereurs. D’abord, c’est Theodose, qui exprime sa surprise de l’attaque de la foire internationale et suppose que ce raid est organise par des elements incontrolables. C’est pourquoi il propose a «son ami, l’empereur des Huns» de trouver et punir ces coupables.
Attila repond que les sujets de son Empire sont obeissants et expose en detail les raisons du raid a la foire et demande l’extradition de l’eveque Andoche. Theodose ordonne d’interroger l’eveque qui naturellement n’avoue pas le crime terrible et reporte toutes les accusations sur les voleurs de tombes.
Theodose conseille alors a Attila, qu’il considere comme une personne eduquee et civilisee, de s’adresser a la justice contre l’eveque et de fournir les preuves. Apres avoir lu cette lettre, Attila ne peut se retenir de rire :
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- Cette reponse est digne du redacteur du «Code de Theodose» !
Onegese remarque en riant :
- Cette compilation des lois romaines est la seule affaire utile a la vie de cet empereur. Toutes les autres affaires sont gerees par Pulcherie et Eudoxie qui se chamaillent entre elles.
Attila prend l’air serieux :
- Selon nos lois, les voleurs sont punis tout de suite apres la decouverte de leur culpabilite et sans une longue procedure. Comment Theodose peut-il admettre l’idee, que l’empereur de la Hunnie peut s’adresser comme une partie civile au tribunal romain ! Il faut donc lui apprendre sur les champs de batailles qu’il faut etre plus respectueux de l’Empire hun ! Qu’il nous livre immediatement l’eveque Andoche en toute conformite avec les coutumes et le droit international !
Cette reaction de l’empereur des Huns bouleverse Oreste qui realise pour la premiere fois que ce conflit peut degenerer en guerre. Il se souvient des mots d’Attila : « Constantinople ne respecte pas toutes les conditions du traite de Margum. Notre patience touche a sa fin. Encore un incident grave et l’Empire romain d’Orient sera puni ! »
Dans la lettre suivante Theodose demande de lui envoyer la liste des objets voles. Attila reagit brutalement. Il dit au messager romain :
- Transmettez a votre empereur, que je lui ne repondrai plus. Je demandais l’extradition du criminel et non le debut d’une procedure bureaucratique. Je vais aller moi-meme l’arreter sur votre territoire.
Quand le messager est sorti, Attila ordonne :
- Commencez les manmuvres le long de la frontiere du Danube! Expediez des messagers a tous les princes avec l’ordre de mobilisation des troupes pour une grande guerre ! »
Il est probable que sans cet incident Attila aurait continue les relations pacifiques avec l’Empire romain d’Orient.
En effet, les Huns etaient maitres les vastes et fertiles paturages des bords de la Volga, au nord du Caucase, dans les steppes de l’actuel Ukraine. Ils n’avaient pas de raisons economiques serieuses qui pouvaient les pousser a l’invasion dans les monts des Balkans et dans les forets de l’Europe occidentale.
« L’eveque Andoche voit du mur de Margum comment les troupes hunes se reunissent sur l’autre rive du Danube autour des drapeaux avec des croix tangrai'stes flottant au vent. Il entend les sons des tambours et des trompettes.
L’eveque tremble a l’idee que l’empereur Theodose, si inerte, peut le sacrifier pour eviter la guerre : « Que faire ? Il n’y a qu’une solution. Envoyer a Attila un messager avec une proposition... Mais quelle proposition ? Que peut-il accepter ? La vie en echange de Margum ! Pourquoi pas ! Margum est une forteresse puissante. Pour Attila, ce serait donc interessant de prendre une telle forteresse sans perdre un seul guerrier. Peut etre, accepterait-il de me laisser eveque de cette ville ou d’une autre ! Il n’existe aucune autre solution ! »
L’empereur du Nord accepte la proposition d’Andoche et l’eveque ouvre aux troupes hunes les portes de sa ville. Maintenant une grande guerre est inevitable.
Attila monte sur un haut sommet, detache sa ceinture d’or et la suspend autour de son cou. Puis il s’assoit sur la pierre et communique toute une journee avec Dieu. Sur son ordre des centaines de milliers de guerriers devront se mettre en mouvement, recevront la permission d’utiliser leurs armes. Il y aura des victimes, y compris innocentes, toutes les horreurs de la guerre : les massacres, les incendies et les destructions, les pillages et les viols. Les troupes devront etre nourries par les habitants des territoires conquis. Mais on aura plus de victimes sans cette guerre. Les diplomates et les emissaires de Constantinople ne se calment pas, essayent de soulever contre les Huns les peuples de l’Empire bati avec de si grands efforts et de susciter l’hostilite des voisins. Ils ne comprennent pas qu’il n’y a rien de plus terrible que l’anarchie des steppes, y compris, pour les voisins ! Attila repondra devant Tangra et sa conscience pour sa decision difficile prise pour l’ordre et la paix dans la Grande steppe, pour la consolidation de l’Empire du Nord, pour la future «pax hunna-romana ». »
Le rite, simple et naturel, de la communication avec Tangra n’a pas du changer de l’epoque d’Attila a celle de Gengis Khan. Les sommets de hautes montagnes suscitent toujours les sentiments eleves, surtout chez les gens qui associent Tangra avec le Ciel eternel.
« Bientot Theodose signe sa lettre a Attila, oh il exprime son accord :
- de ceder la Pannonie et extrader les transfuges; accepte que ses ambassadeurs doivent etre des hommes d’Etat de haute situation ;
- pour la neutralite de la region de Nai'sse afin de l’organisation chaque annee de la Foire international ;
- pour le maintien des garnisons mixtes dans les forteresses au nord de Constantinople et la preservation de la garnison hune a Athyras ;
- de creer une commission mixte sur la demarcation de la nouvelle frontiere ;
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- de creer une commission mixte permanente, chargee des questions relatives aux deplacements et aux activites des Romains et des Huns en dehors de leurs nouvelles frontieres ;
- pour la transmission des propositions romaines et hunes a l’arbitrage d’Onegese avec les obligations de se soumettre a sa decision, l’octroi a lui de toute l’information necessaire a la prise de sa decision et la creation de toutes les conditions pour son travail.
Outre cette lettre scellee par le sceau imperial, l’ambassade de Maximin transporte dix-sept transfuges huns enchaines. Non loin de Constantinople, a Athyras, les Romains sont attendus par les guerriers huns qui doivent les accompagner jusqu’a la capitale d’Attila. »
Il est surprenant de voir dans ce traite antique les conditions stipulant la creation des commissions et des garnisons mixtes, l’organisation d’une Foire internationale.
« La caravane de l’ambassade passe par des endroits ravages par la guerre. Le matin et dans la journee, on mange en hate, pour ne pas perdre de temps durant ces courtes journees de fevrier. Mais, chaque soir, Maximin s’arrange pour suivre les coutumes romaines et organise des diners avec ses hotes honorables, Oreste et Edecon. Un de ces diners faillit se transformer en scandale diplomatique.
D’abord, ce sont les Huns qui commencent a louer leur empereur, grand vainqueur de la guerre. Les Romains exaltent les vertus de Theodose.
Un peu ivre, Vigilas se montre comme grand admirateur de son souverain:
- L’empereur Theodose a regu la meilleure education au monde, il est le plus grand juriste de tous les temps et de tous les les peuples. En outre, il est grand ecrivain et peintre.
Oreste remarque :
- Attila a regu aussi une bonne formation. Il puise ses connaissances partout, sans negliger aucune source, recueille soigneusement l’information sur les sujets qui l’interessent. Il est le plus grand voyageur de notre temps qui a visite des pays tres lointains et inconnus tandis que votre Theodose ne sort pratiquement pas de son palais. C’est pourquoi, on peut accepter a la rigueur qu’ils aient un niveau a peu pres egal d’education. Quant a la fonction la plus importante de n’importe quel empereur, qui est le commandement des forces armees, alors il est clair, qu'on ne peut rien comparer et la superiorite d’Attila devient evidente.
Irrite, Vigilas lance :
- A quoi bon discuter ? Comment peut-on comparer un etre humain meme genial a un dieu ? L’empereur romain Theodose est un dieu, tandis que votre Attila n’est qu’un homme !
Silence. Tous sont choques. Pour les chretiens la divinisation de l’empereur etait une coutume paienne depassee. Pour les Huns le pouvoir d’Attila etait certainement donne par Dieu, mais aucun mortel, meme leur grand empereur et surtout pas l’empereur peureux romain n’etait un dieu. Les Huns, offense par l’orgueil excessif de Vigilas, veulent chatier immediatement ce Romain, se trouvant en territoire occupe par leur armee. Maximin et Priscos reussissent a calmer tout le monde et a changer de sujet de conversation.
Mais la tranquillite ne dure pas. Bientot un des Romains lache une bourde, en regardant les ruines d’une ville detruite par la guerre :
- Od les Huns passent, l’herbe ne repousse pas !
Tous les Huns s’ecrient fort. Oreste et Edecon sont indignes par cette remarque sans fagon et quittent le diner malgre les excuses sinceres de Maximin. Cependant Priscos croit remarquer que certains Huns poussaient des cris guerriers en considerant cette remarque deplacee comme un compliment. »
Ainsi une declaration celebre : « Od Attila passe, l’herbe trepasse » appartient aux Romains, effrayes pas ses victoires.
« La banquet commence a trois heures de l’apres-midi. Chaque visiteur, selon la coutume hune, regoit la permission d’entrer dans la salle seulement apres avoir bu une coupe de vin a la sante et a la prosperite d’Attila. La table de l’empereur et son divan sont disposes sur une estrade elevee au milieu de la salle od l’on montait par plusieurs degres. Derriere, sur la meme estrade, il y a encore une table et un divan pour les convives les plus distingues. Les tables sont couvertes de nappes blanches et les divans par des tapis et des fourrures. Le khan Ellak est assis a cote de son pere avec le regard respectueusement baisse.
Sur deux cotes sont rangees de petites tables rondes destinees chacune pour trois ou quatre invites. Les Romains sont places sur la partie gauche, moins honorable a leur avis. Maximin proteste contre la violation de l’etiquette diplomatique, voyant que ce n’est pas lui qui occupe la place honorable de leur table, mais le general hun Berik. Mais les responsables de banquet ne l’ecoutent pas. »
Le nom « Berik » peut etre traduit comme « celui qui donne ».
« Apres la ceremonie obligatoire de la nourriture de l’esprit du feu, le banquet commence. Chaque table est servie par un echanson et une serveuse. La vaisselle est en or et en argent. Seul, Attila mange et boit dans de la vaisselle en bois. En plus, il mange principalement de la viande cuite, tandis que l’on couvre la table trois fois
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pour les invites et toujours avec des plats les plus differents. Le protocole interdit de toucher aux plats eloignes et Priscos regrette en silence de n’avoir pu deguster certains mets curieux qui eveillaient ses desirs. »
La description de ce banquet par Priscos est, heureusement, tres detaille. On voit qu’il ne cede en rien aux banquets et diners diplomatiques contemporains.
« Attila leve sa coupe et propose un toast pour son convive le plus honorable, qui se leve a son tour et exprime ses vreux les plus respectueux a l’empereur. Apres quelques toasts, l’atmosphere devient plus gaie, la conversation autour de toutes les tables s’animent. Seulement Attila garde l’air serieux et ne sourit pas. Lui et Ellak ne parlent pas beaucoup, tristes a cause de la maladie de Kere-ko.
Le soir, on allume des flambeaux et des lampes. Viennent deux conteurs qui executent des fragments de la poesie epique heroique et des poemes en l’honneur des victoires d’Attila. Dans la salle s’installe un silence profond. Les Huns ecoutent avec les yeux brillants et seulement parfois accompagnent l’execution par des exclamations d’approbation. Priscos croit voir que les vieillards pleurent de la douleur de ne plus pouvoir partager la gloire et les dangers des batailles et les jeunes guerriers se chargent d’energie pour leurs exploits futurs.
Une telle reaction orageuse produit une forte impression sur les Romains. Attila conserve son inflexible gravite, il est majestueux et un peu triste. Quand les conteurs sortent, entre un vieux guerrier tenant dans ses mains Er-Nak, un petit fils d’Attila. L’empereur se transforme, il prend avec un sourire tendre son enfant, l’embrasse et caresse tendrement ses joues.
Etonne par un tel changement brusque de la conduite d’Attila, le jeune Grec demande a un Hun assis a cote et qui parle assez bien latin :
- L’empereur semble assez froid avec ses fils aines, ici presents. Pourquoi est-il tellement tendre pour Er-Nak ?
Le Hun lui chuchote :
- Ne parlez a personne de ce que je vous dis. Un grand chaman a predit que les fils aines d’Attila n’auront pas de descendance regnante. Ce ne sont que les descendants d’Er-Nak qui continueront dignement ses actions. C’est pourquoi il aime tellement ce gargon.
Quand les Romains remarquent que les bouffons entrent pour leur representation, ils decident de quitter poliment le banquet. »
On peut traduire « Er » comme « un vrai homme ». Er-Nak est devenu fondateur de la dynastie des khans bulgares.
« Apres l’echec de ce complot stupide, Oreste et Esla sont envoyes a Constantinople. Ils se presentent au palais imperial et exigent d’etre regus immediatement par Theodose. L’empereur vaincu ne peut qu’accepter leur demande. Les ambassadeurs selon l’etiquette de la cour de Constantinople etaient obliges de se mettre a plat et de ramper vers l’empereur sur le ventre de la porte jusqu’au trone, sans lever la tete, embrasser sa botte rouge et sortir de la salle de la meme maniere, en rampant en arriere du trone jusqu’a la porte. Mais les envoyes huns ne respectent plus ces regles depuis longtemps.
Les ambassadeurs d’Attila entrent dans la salle et sous les regards inquiets des courtisans s’approchent de Theodose d’un pas assure. Chrysaphius, place a cote du trone remarque avec effroi sa bourse pendue sur le cou d’Oreste. L’empereur garde l’air grave et fier mais sent la nervosite du Grand eunuque et comprend avec une grande deception que le complot est dejoue.
Les ambassadeurs saluent froidement l’empereur, puis Oreste s’adresse a Chrysaphius :
- Reconnaissez-vous votre bourse, temoignage de votre crime ? Vigilas est arrete.
Sans attendre sa reponse, Esla commence a lire la declaration d’Attila, en la coupant en courtes phrases, afin de souligner toute son importance :
« Theodose est le fils d’un pere illustre et respectable.
Attila descend aussi d’une noble famille, et il a soutenu par ses actions la dignite que son pere Mundzuk lui a transmise ; mais Theodose s’est rendu indigne du rang de ses ancetres ; en consentant a payer un tribut honteux, il se fait son vassal. »
Le visage de l’empereur, habitue aux paroles flatteuses, exprime la surprise mais Theodose se tait, incapable de nier cette constatation de sa situation reelle apres les defaites de ses armees. Esla continue la lecture du message d’Attila :
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« Il doit done respecter celui que les capacites et la chance ont place au-dessus de lui, et non pas, comme un esclave perfide, conspirer contre la vie de son maitre. »
Oreste voit Theodose rougir et trembler de cette verite incontestable, terrible et genante pour lui.
L’impact international de cette demarche diplomatique est immense. Les rois germaniques et d’autres chefs barbares sentent, que, sous leurs yeux, nait un nouveau monde. Maintenant le fier empereur Theodose etait oblige de supporter toutes les humiliations, reconnaitre le titre significatif «Empereur du Nord, roi des Huns» d’Attila. Ainsi Attila, le roi des Huns a obtenu la reconnaissance diplomatique de sa qualite de suzerain de l’Empire romain d’Orient, tandis que la dependance de l’Empire romain d’Occident des Huns n’etait un secret pour personne, et de sa qualite d’empereur d’une grande federation de presque tous les autres pays et peuples europeens politiquement organises !
Tout en conformite avec la volonte d’Attila, Theodose lui a envoye comme ambassadeurs ses deux patrices Anatolius et Nomus, c’est-a-dire, les personnalites ayant la situation la plus haute de «peres, tres chers et bien aimes» de l’empereur. Ils sont arrives avec le tribut de l’Empire Oriental romain et de riches cadeaux. Attila etait touche et a adouci ses revendications. Il a meme cru pendant quelque temps a la possibilite d’une amitie sincere avec les representants eminents de la noblesse romaine. »
Marcel Brion, de l’Academie frangaise, pensait : «A quelque nation qu’ils appartiennent, les hommes d’Etat ne peuvent plus nier aujourd’hui que le plan de ce roi, un des plus grands que le monde ait connus, etait l’unite europeenne ... Ce plan s’etait impose a son genie, quand il avait vu accourir vers lui les princes germains et les representants des paysans gaulois, des Iberes et des Britons, des Scandinaves et des Grecs. Tous ceux qui ne voulaient pas voir une anarchie detestable s’installer dans les ruines de Rome ...» ([10], p. 162).
« Le palais imperial de Constantinople etait agite par la nouvelle de la mort de l’imperatrice hune Kere-ko qu’on appelait ici Kerka. On disait qu’Attila avait brule par desespoir le palais de sa femme devenu terriblement vide !
Le creur d’Honoria bat d’une admiration involontaire. Attila est non seulement un elu de Dieu qui a regu l’epee d’or divine, mais il est encore capable d’un grand amour ! Comme Honoria, elle-meme ! Il est le fondateur du nouvel empire victorieux, elle est une princesse, ayant droit sur le trone de l’empire ancien et prestigieux qui a ete prive de son titre d’Augusta par suite des intrigues d’Aetius et de Valentinien. Maintenant, apres la mort de Kerka, elle peut devenir l’imperatrice hune et donner a Attila le droit a la possession de la moitie de l’Empire romain d’Occident !
Honoria ne trahit personne, elle veut sauver la civilisation romaine. C’est Valentinien qui l’a trahie, ayant ordonne de tuer son cher Eugene ! Et Theodose apres avoir essuye la defaite avec le glaive, a decide de vaincre Attila par le poison ! Quelle lachete ! Avec quelle intelligence et habilite il a ete remis a sa place et ridiculise par Attila !
Non, elle n’a pas pitie de son frere et de son oncle! Mais elle epargnera leurs vies, les enverra au couvent prier Dieu de leur pardonner leurs grands peches. D’ailleurs, ils prient Dieu tout le temps. Mais il n’ont pas de foi sincere dans leurs ames. Malgre sa fanatique religiosite, Augusta Pulcherie a ordonne au comte Saturnun de tuer deux pretres proches de l’ancienne imperatrice Eudoxie. Non, il faudra les envoyer en exil dans une peripherie eloignee de l’Empire hun, par exemple, en Siberie.
Honoria voit de nouveau Attila sur un cheval blanc avec son epee d’or dans son reve. Non, il ne faut plus attendre. La decision est prise. Elle sera la premiere dame du monde ! Il faut envoyer a Attila un messager sur avec une lettre et une bague de fiangailles.
A qui confier cette mission delicate et discrete ? Bien sur a Jacinte ! Ce jeune serviteur est tres positif a la difference des autres eunuques et eprouve pour elle une sympathie et une amitie sincere. Toutes ces annees, ils ont beaucoup parle et Jacinte la comprend bien, il faut seulement discuter encore avec lui comment mieux repondre aux questions de l’empereur hun.
Attila est emu. Il a eprouve le meme sentiment, quand le berger hun lui a apporte l’epee d’or de la Victoire trouvee dans la steppe de la mer Noire. Tangra lui donne maintenant la main d’une fiere princesse, heritiere du trone d’un empire, et de quel empire!
Il presse le messager de questions :
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- Racontez moi tout sur la princesse. Quel age a-t-elle ? Est-elle belle ? Est-elle intelligente ? Pourquoi n’est-elle pas mariee ?
Jacinte raconte tout ce qu’il sait :
- Honoria est belle, elle est fidele et sincere, elle etait malheureuse et merite plus que toutes les autres femmes aide et amour...
Attila ecoute attentivement le recit, pose de nouvelles questions. Sans aucun doute, Honoria lui est envoyee par Dieu, lui-meme, pour faciliter la realisation du plan de la creation de l’Empire romano-hunnique. Il suffit de rendre a Honoria son titre d’Augusta et ils auront toute la legitimite de gouverner l’Empire romain d’Occident. Ainsi, Attila et Honoria composent un couple ideal pour gouverner ensemble le futur Empire romano-hunnique.
Attila tape gentiment Jacinte a l’epaule et lui dit :
- Oreste me parlait un peu du destin de la princesse Honoria. Mais votre recit m’a touche. Je pergois comme un grand honneur la proposition de la princesse et je vais envoyer un ambassadeur a Ravenne afin de demander a l’empereur Valentinien l’autorisation pour Honoria de venir dans notre capitale. »
Cet acte de la princesse Honoria est bien analyse par Michelle Loi.
« Apres le passage du Rhin, Attila envoie une armee sous le commandement d’Onegese a l’ouest. Apres la prise de la ville d’Arras cette armee se disperse en eventail et sort par un large front sur le bord de l’ocean.
Sabir parvient a la Seine avec son millier de cavaliers, a la fin du mois d’avril, suit le fleuve et arrive jusqu’au Grand ocean occidental. Regardant les ondes de l’ocean, Sabir se souvient des recits de son grand-pere a propos de la mer Baikal et des mers chaudes chinoises. Il organise a cette occasion avec ses guerriers une grand fete. Il a deja soixante ans et il ne lui reste plus beaucoup de temps pour participer encore aux operations militaires. Un ancien officier de la Garde imperiale romaine a pour cette fete quelques bouteilles de vin des bords de la Moselle, il trouve du jambon gaulois, peche des huitres et des crabes. Ses jeunes guerriers, venus la plupart de Siberie, regardent avec une grande surprise comment leur vieux commandant mange des creatures vivantes inconnues d’eux avec du vin blanc.
Sabir a realise son reve et est heureux. Il a vecu une vie, remplie d’evenements interessants, a protege l’ltalie et la Gaule contre les Barbares. Il est venu maintenant avec ses guerriers afin de defendre la princesse Honoria, qui souhaite avec Attila etablir la paix et l’ordre sur la terre. Malheureusement, les habitants irraisonnables de certaines villes, les partisans du traitre et du parjure Aetius, ont resiste. Ont peri des compagnons d’armes. Il fallut punir et venger. Dans ce cas les guerriers deviennent cruels. En effet, l’insoumission au khan a qui Dieu a expedie l’epee d’or de la Victoire et a exprime tant d’autres signes de sa bienveillance, ou son offense, sont l’insoumission a Dieu et son offense. C’etait toujours comme ga. Au ciel, il n’y a qu’un Dieu et Sabir croit, qu’un jour il ne sera qu’un souverain sur la terre. Alors enfin, regnera la paix. Attila a fait beaucoup pour cela. Sabir souhaite silencieusement que ce souverain du monde soit Attila ou un de ses nobles fils et boit sa coupe jusqu’au fond. »
Sabir, officier hun (personnage litteraire), est un vrai tangraiste, par consequent, il se considere comme un « combattant pour la paix universelle ».
« Attila monte avec ses generaux et les rois vassaux sur la colline de Monmartre et commence a admirer la vue de Lutece Parisiorium, qu’on commence a appeler brievement Paris. C’est une petite ville bien fortifiee. Surtout son centre, qui se trouve dans une ile de la Seine.
Arrive au galop un officier de reconnaissance qui rapporte d’une voix etonnee :
- Grand khan, les citadins se comportent d’une fagon extremement bizarre!
- Que font-ils ?
- Ils chantent !
En effet, le vent chaud de mai porte de temps en temps les sons du chant d’un chreur eloigne. Tous sont stupefies. Attila demande :
- Que chante-t-on ?
Confus, l’officier murmure :
- Je ne comprends pas le latin.
Attila decide d’aller lui-meme ecouter ce chant si extraordinaire et ordonne a Oreste et a sa Garde de le suivre. Quand ils s’approchent des murs, le chant devient de plus en plus fort. Attila s’arrete a une distance de tir. Sur le sommet plat d’une tour il voit un grand chreur feminin, dirige par une jeune femme dans des vetements blancs et avec des cheveux d’or. Attila prete l’oreille aux paroles. De belles voix feminines demandent a Dieu d’apaiser la colere d’Attila et de sauver leur ville de la destruction, leurs maisons des incendies, les enfants et les maris de la mort.
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L’empereur hun se rappelle soudain son inoubliable Kere-ko, ensuite la pauvre Honoria et son creur se serre d’une compassion inattendue pour ces femmes qui ont reussi a exprimer leurs sentiments a cette heure de danger par des chants partant de leurs ames. La femme aux vetements blancs se tourne vers Attila et le salue poliment, apres celle-ci, toutes les autres femmes le saluent aussi.
Les portes s’entrouvrent et un pretre sort et s’adresse a l’empereur hun :
- Grand empereur, roi des Huns ! Nous vous demandons de ne pas toucher notre petite ville paisible, ne representant aucun danger pour votre armee. Nous sommes prets a payer notre modeste tribut.
Attila demande :
- Nous allons vers Orleans. Pouvez-vous nous garantir, que vous n’attaquerez pas nos arrieres ?
- Les citadins ne veulent pas intervenir dans votre lutte avec Aetius. Nous declarons solennellement, qu’aucun soldat de la garnison ne sortira de nos murs et ne participera a la guerre contre vous !
Attila dit avec un sourire :
- Remerciez vos femmes. Elles chantent si bien!
- C’est Genevieve qui a organise les femmes et a dit que vous etes un homme eduque, croyant comme nous en un Dieu unique, que vous pouviez ecouter nos demandes et nos prieres. Nos femmes ont prie pendant plusieurs jours et ont persuade tous les habitants de rester dans la ville. Grace a sa vie modele depuis son plus jeune age, la distribution aux dimunus de l’heritage de ses parents riches, ses visions admirables et ses capacites, elle jouit d’une immense autorite a Paris.
- C’est tres etonnant ! Transmettez mon admiration pour son esprit extraordinaire, sa foi profonde et sa sagesse. Elle a sauve la ville !
Attila brandit gentiment la main. Genevieve comprend tout et donne un signe a la premiere chanteuse, qui commence avec sa belle voix un hymne de remerciement.
Emus, Attila et Oreste remontent la colline. L’empereur s’adresse aux generaux :
- Nous ne perdrons pas de temps et les vies de nos guerriers pour une petite forteresse situee dans une ile et les fortifications entourees par les marais. J’ordonne aux armees d’aller vers Orleans !
Puis il se tourne vers Oreste :
- Occupe-toi de la gestion des territoires occupes, des communications et de l’approvisionnement de l’armee, ainsi que de l’exportation des trophees, des butins et des tributs des villes de la Gaule !
Un jour apres, aux alentours de Paris il ne reste plus aucun guerrier hun. Sur la ville n’est tombee aucune balle de catapulte, aucune fleche n’a ete tiree par les cavaliers des steppes contre ses defenseurs. Paris fete le miracle trois jours et trois nuits. La jeune Genevieve devient l’idole des citadins et la sainte protectrice vivante de Paris. »
Je reconnais que cette scene avec Sainte Genevieve est trop belle. J’ai essaye d’ecrire un livre aussi veridique que possible. Mes sources principales sont les oeuvres de R. Grousset, M. Brion, J.-P. Roux, G. Chaliand, L.N. Goumilev, M. Bouvier-Ajam, E. Gibbon et d’autres auteurs serieux. Mais pour cette scene j ’ai eu une inspiration etrange, mon stylo a ecrit presque automatiquement. Mais peut-etre je n’exagere rien. Il y a aucun temoignage viable du siege de Paris par Attila.
« Aignan, a-t-il devine ces pensees d’Aetius ou a-t-il senti que les forces des defenseurs s’epuisaient et que la resistance ulterieure provoquerait la fureur des Huns et la mort certaine de tous les citadins et les soldats, mais il decide de commencer les negotiations avec Attila. C’etait une decision difficile. L’exemple de Paris l’encourageait. Mais Orleans resiste aux Huns pendant quatre semaines. C’est vrai que les Huns n’ont pas encore attaque la ville, ils etaient encore dans la phase de destruction des murs et des portes avec l’aide des beliers et des catapultes. Bien sur, ils ont subi des pertes, mais pas encore assez pour provoquer l’acharnement des guerriers. D’ailleurs, au nord de la Gaule, des villes etaient detruites pour une moindre resistance. D’autre part Aignan doute beaucoup qu’Aetius soit capable de vaincre Attila sous les murs d’Orleans et de liberer la ville. En effet, Attila a detruit plusieurs grandes armees romaines pendant la guerre avec l’Empire romain d’Orient et l’Empire romain d’Occident cedait a deux reprises sans bataille aux armees hunes, relativement petites, venues en aide a Aetius. Aignan n’a aucune certitude sur les intentions veritables d’Aetius. Dans de telles conditions il est ridicule de penser a une defense heroique et au sacrifice de la garnison et des habitants. La conscience d’Aignan est tranquille. En effet, il a prevenu Aetius qu’Orleans ne peut pas resister longtemps. Non, il ne doit penser qu’au sauvetage de la ville et ne pas continuer une resistance absurde et inutile.
Attila rencontre Aignan assez froidement :
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- Au debut du siege, vous etiez prevenu de toutes les consequences de la resistance. Vous savez parfaitement que je suis venu en Gaule sur l’invitation de votre princesse Honoria injustement privee de son titre d’Augusta. Vous savez aussi que le general Marcien a Constantinople est devenu empereur seulement grace a son manage avec Augusta Pulcherie. J’ai aussi l’intention de devenir votre empereur legal et de gouverner ensemble avec Honoria au lieu de cet incapable Valentinien que vous avez critique si courageusement pendant votre visite a Ravenne. C’est pourquoi vous deviez au moins rester neutre, et ne pas resister avec autant d’acharnement. Votre ville sera bientot prise et rasee de la surface de la terre.
- Ayant detruit notre ville vous resterez dans les memoires pour les siecles suivants comme un conquerant cruel et impitoyable. Nous sommes prets a cesser la resistance et vous ouvrir les portes. Je vous demande seulement de ne pas tuer les habitants et les soldats, de ne pas detruire et incendier la ville. Si nous faisons comme ga, nous garderons les vies de milliers de vos et de nos soldats. Alors la memoire de votre acte noble sera transmise de generation en generation!
Attila reflechit :
- C’est vrai, vous avez raison !
Ensuite il sourit :
- Je veux qu’on commence a me percevoir comme un futur codirigeant de l’Empire romain et le garant de l’ordre et de la paix. Les destructions des villes au nord n’etaient efectuees que par suite de considerations strategiques et de la resistance des habitants.
Aignan se rejouit de l’amelioration de l’humeur de l’empereur hun. Attila prend l’air serieux :
- J’accepte vos conditions. Demain matin vous ouvrirez les portes et nos troupes, choisies pour cette operation, entreront dans la ville. Toutes vos armes doivent etre deja chargees sur les chariots. Nos guerriers experimentes, ayant servi plusieurs annees en Gaule et connaissant bien les coutumes et la vie romaines, visiteront toutes les maisons et confisqueront bijoux et autres objets de valeur. Vous comprenez certainement que c’est une petite punition pour vous etre laisse imprudemment entraine dans un conflit arme par une partie incapable de vous proteger.
Prudent, Aignan prefere garder le silence.»
Pour la majorite des chercheurs europeens, non informes de la religion tangrai'ste pratiquement meconnu en Occident, le respect d’Attila par rapport aux eveques reste tres enigmatique.
« Loup, eveque de Troyes, encourage par l’exemple de Genevieve et d’Aignan, sort de sa ville, rencontre Attila et s’entend vite avec lui. Ils decident que Troyes paiera le tribut aux Huns, ne participera pas aux actions militaires contre Attila et donnera des otages en garantie de cet accord. Loup est pret a devenir lui-meme un des otages afin de sauver les citadins, mais l’empereur hun libere le vieil eveque apres une conversation amicale. Les habitants de Troyes pergoivent leur sauvetage comme un grand miracle et Loup, comme Aignan a Orleans et Genevieve a Paris, commence a etre pergu comme un saint protecteur vivant de sa ville. »
Grace a Attila, l’eglise catholique a quatre saints : Leon, Genevieve, Aignan et Loup qui n’ont subi aucune violence physique de la part des Huns. Presque tous les saints avant eux etaient des martyrs.
« L’armee hune traverse la Seine et avance par une route romaine vers la ville de Chalons et entre dans les Champs catalauniques. Attila est impatient de voir ses guerriers reposes et sa cavalerie atteint vite le camp principal a l’endroit de la fusion de la Marne et de l’Ornain. L’infanterie germanique reste en arriere sans protection de la cavalerie. Les troupes d’Aetius les suivant et ne les ayant pas deranges jusque la, tous sont assez insouciants. Les troupes du roi gepide Ardaric s’attardent dans la presqu’ile formee par la Seine et l’Aube afin de se reposer deux jours dans cet endroit, protege par l’eau de deux cotes...
A l’occasion de l’heureux achevement de cette campagne militaire, Attila organise une grande Fete du
Soleil.
En regardant les jeux guerriers, le general Berik dit a Attila :
- Les cavaliers se sont bien reposes. Dans le courant de cette campagne nous avons subi peu de pertes. Les deux derniers mois se sont passes sans batailles. Pendant ce temps tous les blesses se sont retablis, tous les mutiles sont rentres dans leurs pays. Les cavaliers voudraient maintenant terminer la campagne par une grande bataille sur ces champs pour raconter ensuite leurs exploits.
Attila approuve cette idee :
- Je l’ai pense aussi, mais attendais que quelqu’un le propose. Il sera bien de battre Aetius. Dans tous les cas une bataille sur cette plaine vaste ne presente aucun danger pour notre cavalerie. Nous verrons de quoi sont encore capables ces Romains miserables.
Il regarde Oreste, Onegese, Edecon et ses fils se trouvant a ses cotes :
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- Nous ebranlerons l’imagination des peuples par une bataille gigantesque! Mais nos pertes doivent etre minimales. Ce n’est que la premiere annee de la guerre !
Un chaman, qui l’accompagne, dit :
- J’ai vu cette bataille en reve. Il ne sera ni vainqueur, ni vaincu, mais ton grand ennemi sera tue.
Attila s’exclame :
- C’est parfait ! Cette fois ga me suffit.
Arrive au galop un cavalier :
- Les Francs d’Aetius ont attaque l’armee gepide qui dormait. La bataille a dure toute la nuit, il y a beaucoup de morts et de blesses. Ardaric est oblige de quitter son camp, pour rejoindre nos forces principales.
Attila s’etonne :
- Je ne pensais pas, qu’Aetius oserait nous deranger. C’est un peu dommage que nous ayons deja evacue une partie de nos troupes de la Gaule.
Il ordonne au roi ostrogoth Valamir :
- Envoie ta cavalerie afin de proteger le retrait d’Ardaric ! »
J’ai visite a plusieurs reprise les Champs catalauniques. Sur ces vastes plaines, la victoire de l’infanterie romaine sur la cavalerie hune a ete impossible contrairement a ce que declarait plus tard la propagande romaine et gothe. Les allies des Romains desorganises ont quitte le champ de bataille : le roi des Wisigoths a ete tue (d’ailleurs par un noble Ostrogoth), les Alains ont deserte, les Burgondes ont ete chasses hors des Champs catalauniques.
Attila et Leon
Apres cette analyse de la religion et de la civilisation des Huns nous pouvons aborder et elucider une grande enigme historique : celle de la rencontre d’Attila et du pape romain Leon.
« A Rome la peur devant les Huns se transforme en panique. L’empereur Valentinien et plusieurs nobles Romains sont prets a se sauver a bord des navires vers Constantinople. Mais cette solution ne serait que temporaire. Apres la victoire sur l’Empire romain d’Occident, Attila mettra surement de nouveau a genoux l’Empire romain d’Orient ou le supprimera. Dans cette situation, tous veulent des negociations avec les Huns. Oh est la princesse Honoria ? Il faut la marier avec Attila ! Mais alors que deviendra le pauvre empereur Valentinien ? Peu importe, ne pensons pas a lui a un tel moment terrible ! L’essentiel, c’est de rester vivant, on verra ensuite que faire !
L’empereur Valentinien se decide a envoyer une delegation aux Huns. Il faut essayer d’eviter le pire, demander a Attila ses conditions, aller avec des cadeaux, etre pret aux revendications humiliantes, accepter le paiement du tribut annuel. Le Senat vote unanimement les negociations et designe comme ambassadeurs les deux senateurs les plus respectes. La reunion des habitants de la Ville eternelle approuve cette decision.
Une nouvelle reunion du Senat en presence de l’empereur, des ministres et des generaux. Qui presidera l’ambassade ? La question est difficile. Aucune garantie qu’Attila recevra des ambassadeurs dans une telle situation, si favorable pour lui. Peut-etre, peut-on envoyer son ancien ami Aetius ? Plusieurs senateurs et les conseillers de l’empereur objectent violemment. En effet, on ne peut pas prevoir sur quoi Aetius tomberait d’accord avec Attila car il est capable de tout ! Puis on se rappelle qu’en Gaule les eveques Aignan et Loup ont trouve un accord avec Attila. On dit qu’ensuite Loup a meme ecrit une lettre a Attila avec la demande de relacher les otages donnes par la ville de Troyes. Et Attila a renvoye ces otages ! Progressivement, tout le monde accepte l’idee que la delegation doit etre dirigee par le pape romain Leon. »
Ainsi Attila a mis au genoux deux Empires romains.
« Le 4 juillet 452, la delegation romaine arrive au Pont de Mantoue. La chaleur est torride. Oreste, prevenu par un messager, range une garde d’honneur au debouche du pont. Il apergoit le cortege vers onze heures du matin. Le pape est accompagne par les senateurs Avientus et Trigetius et dix diacres tout de blanc vetus, dont un porteur de l’etendard pontifical et un porteur du crucifix d’argent, dix legionnaires en grande tenue et avec des armes d’apparat, tous a cheval. Deux legionnaires portent en flancs et croupes d’enormes sacs de cuir.
Oreste les accueille au milieu du pont. Leon, prevenu par Aetius des coutumes hunes, descend de cheval en signe de respect. Oreste en fait autant et le pape pergoit ce geste comme un bon presage. Puis la delegation, conduite par Oreste, traverse le pont sous les regards curieux de la Garde hune. A cinq heures du soir, dans la magnifique tente imperiale, commence un diner donne par Attila en l’honneur du pape romain Leon. Attila, vetu
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a la romaine, a decide que le diner doit se passer dans une ambiance amicale. Il invite le pape a s’asseoir en face de lui, place Avientus a sa droite et Trigetius a sa gauche. Leon a Onegese a sa droite et Edecon a sa gauche. En bout de table sont places les secretaires des delegations, d’un cote, Prosper d’Aquitaine, et de l’autre cote, Oreste, qui a accepte pour cette occasion exceptionnelle le role de secretaire de la delegation hune. »
Ce diner est bien decrit par Bouvier-Ajam.
« Les mets et les vins sont delicats. Afin de diminuer la tension des Romains, Attila commence a parler couramment, en latin et grec, du temps, des annees de ses etudes en Italie, de ses voyages dans les pays lointains. On aborde ensuite des sujets differents et les plus agreables possibles. Attila comprend vite, avec grand regret, que Leon ne parle pas grec, c’est pourquoi, par la suite il ne parle que latin. »
Saint Leon, un des plus grands papes romains, a ete moins eduque qu’Attila !
« Leon est charme par l’empereur hun si eduque et mondain. Les Romains commencent a esperer pouvoir s’entendre avec lui. Et voila, Attila propose a Leon d’examiner toutes les questions politiques, en tete a tete, le lendemain.
Apres ce diner si amical, Leon se sent en securite relative et commence a se preparer a une longue conversation tranquille. Il eprouve un grand interet pour son partenaire, puissant et terrible. En effet, Attila, qui traitait les empereurs romains Theodose et Valentinien comme ses vassaux, pouvait se comporter avec Leon tres brutalement. Le pape s’imagine ce que pourraient faire d’Attila, dans le cas de sa defaite, les empereurs romains et meme les eveques, impitoyables avec les pai'ens, les ariens, les donatistes et les autres adversaires. Leon ne s’endort pas avant longtemps. En effet, pourquoi Attila est-il si gentil avec lui, pourquoi etait-il tellement attentif aux demandes des eveques et aux prieres de Genevieve en Gaule? »
Plusieurs annees apres la mort d’Attila, les Romains ont reussi a encercler l’armee de son fils Denghizikh dans les montagnes en coupant les deux sorties d’une vallee. Tombe ainsi en piege, il a ete tue par les Romains et sa tete a ete expose dans le cirque de Constantinople.
« L’apres-midi du 5 juillet, l’empereur des Huns et le pape romain tiennent leur conversation confidentielle. Attila commence naturellement par l’analyse de la situation politique et militaire, catastrophique pour les Romains. Leon soupire involontairement :
- Vous avez certainement raison ! Il est impossible de nier des choses evidentes. La situation pour les Romains est vraiment catastrophique. Je n’ai pas de raisons de douter que vous deveniez bientot le maitre de l’ltalie et realiserez ensuite votre reve de la creation de l’Empire romano-hunnique que vous avez evoque tout a l’heure. Je ne vous pose qu’une question principale : que sera dans ce cas le sort de l’Eglise et de la population chretienne ? Les chretiens jusque recemment etaient poursuivis cruellement par l’etat. J’ai peur que de nouvelles epreuves ne les attendent.
Attila remarque :
- Dans mon empire, les chretiens, comme les representants des autres religions, se sentent tranquilles. Les centaines de milliers d’Ostrogoths et les autres Germaniques sont chretiens, sans parler des anciens Romains de la Dacie et de la Pannonie, des Grecs de la mer Noire et des villes balkaniques, occupees par nous. Des millions d’habitants des steppes du Danube jusqu’a la Chine croient aussi en un Dieu unique et tout puissant.
Le pape ecoute avec grand interet cette declaration et s’anime :
- Malheureusement les Goths sont ariens. Nous avons des differends importants.
Attila l’interrompt :
- Nous trouvons que plusieurs voies peuvent conduire vers le meme Dieu. En plus, je ne pense pas qu’un simple Goths comprenne la difference entre les divers courants du christianisme. Dans tous les cas, je vous promets apres la creation de l’Empire romano-hunnique le soutien officiel de l’Eglise chretienne et l’aide a la christianisation volontaire des habitants de l’Espagne et de l’Afrique jusqu’a la frontiere chinoise.
Surpris, le pape s’exclame involontairement :
- De l’Espagne et de l’Afrique jusqu’a la frontiere chinoise ! »
Es-ce que aujourd’hui beaucoup de chretiens comprennent la difference entre les religions catholiques et orthodoxes, les discussions sur la « filioque » ?
« Attila sourit :
- Les Huns pensent qu’il sera un jour un souverain sur la terre comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel. Alors vous pourrez repandre votre foi parmi tous les peuples.
Leon se souvient que les Francs et plusieurs autres peuples germaniques restent encore pai'ens et continuent a apporter des sacrifices humains, qu’une partie de la population de la Gaule extermine les missionnaires chretiens. Pour le christianisme encore faible, recemment devenu religion d’Etat, qui n’a pas encore lance de racines profondes dans la conscience meme de la population des Empires romains, s’ouvre une perspective ambitieuse dans cette situation politique dramatique. Leon revient de son etonnement :
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- Vous savez, je suis realiste, et pas reveur. Mais votre proposition est extremement seduisante. Je reflechirai. »
Bouvier-Ajam a presque compris une raison principale d’entente entre Attila et Leon mais il n’avait aucune idee de la religion tangrai'ste et meme pensait que les Huns etaient athees.
« Attila le regarde attentivement :
- En fait, vous etes aussi constructeur d’un empire comme moi. Grace a vos reformes, la papaute romaine devient une force politique serieuse. La cour papale ressemble maintenant a la cour imperiale. Les eveques dependent de plus en plus de vous. Je suis ravi de voir revolution de cet empire invisible sans aucunes frontieres. Votre creation peut survivre meme a la disparition eventuelle des deux Empires romains. Je vous trouve comme l’homme le plus sage de la Terre !
Leon est flatte et dit tres sincerement :
- Merci pour la comprehension ! C’est tres difficile pour moi, je fais de grands efforts comme vous le faites aussi. Cette ambassade est la toute premiere grande mission diplomatique de l’eglise catholique et je voudrais, que mon intervention soit couronnee de succes.
Attila le regarde dans les yeux et dit lentement :
- Je compte que l’Eglise puisse aider a la consolidation et garantir la stabilite du futur Empire romano-hunnique. Je propose de commencer serieusement a reflechir sur la possibilite de notre future union sur la base d’une communaute d’interets. Je peux aider l’Eglise a l’elargissement rapide de sa sphere d’influence. Nous discuterons de cette question en detail, quand je viendrai en Italie la prochaine fois.
Le pape tressaille involontairement. L’empereur continue tranquillement :
- Pour moi la victoire militaire n’est pas la chose la plus importante. Pour cette annee, il me suffit de gagner votre amitie et votre comprehension. Votre mission sera couronnee d’un grand succes. Je suis d’accord pour quitter l’ltalie avec mon armee a la condition de... »
Tangraisme comme une grande religion
Une religion qui est ne il y a au moins 2300 ans, qui a ete repandue sur une grande partie de l’Eurasie pendant plus de 1500 ans, peut etre legitimement classee parmi les grandes religions : « Qu’on n’oublie pas que ces hommes dont le berceau et l’aire habituelle de mouvance se situent dans les forets et dans des steppes en marge des terres de haute civilisation ont ete appeles maintes fois a jouer un role politique et culturel essentiel dans l’histoire de l’Eurasie, la detruisant et la reconstruisant, lui fournissant des rois, lui insufflant de nouvelles forces vives puises dans leur sauvage retraite. On doit d’attendre a ce que leur religion se place au meme niveau que leur action. » ([6], p. 284)
La religion tangrai'ste a servi longtemps a la consolidation des peuples des steppes. Il suffit de citer encore une fois Jean-Paul Roux : « C’etait l’idee forte des Turcs et des Mongols, celle qui sera repetee pendant quelque deux mille ans des Hiong-nou aux Ottomans. Avec quelques variantes dans la forme, dix fois, cent fois on relira cette phrase : « Comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, il ne doit y avoir qu’un seul souverain sur la terre »» ([9], p. 242).
Troubetskoi decrit le role de la religion tangrai'ste en Empire mongol dans les termes suivantes :
« Etant un homme profondement religieux, Gengis Khan pensait que la religiosite etait une composante necessaire de cette orientation psychique qu’il appreciait dans ses subordonnes. Afin d’accomplir sa tache intrepidement et inconditionnellement, un homme doit intuitivement, non de fagon abstraite, mais par tout son ame croire que sa destinee et les destinees des autres et du monde entier sont entre les mains d’un etre supreme, infiniment superieur et a qui on doit accorder une confiance absolue ; ce ne peut etre que le Dieu mais pas un homme. Un guerrier discipline, qui sait bien executer les ordre de son chef ainsi que dinger ses propres subordonnes, sans jamais perdre estime a soi-meme et, par consequent, capable d’estimer les autres et susciter leur respect, ne peut etre, en fait, subordonne qu’a une instance immaterielle, non terrestre, a la difference d’une nature servile, qui a une peur terrienne, qui a les desirs terriens, qui a les ambitions terriennes. »
Analysons maintenant une affirmation interessante de Troubetskoi :
« Le pouvoir de Gengis Khan comme d’un elu et d’instrument du dieu de Ciel n’a ete fonde que du point de vu du chamanisme, c’est-a-dire d’une religion le plus flou dogmatiquement qui ne pretendait pas a une
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large diffusion, sans force offensive et incapable de concurrencer les autres religions dominantes en Asie et en Europe. »
On peut etre d’accord que la religion tangrai'ste n’est pas tres dogmatisee et reste assez flou. Mais l’existence des pretres, appeles les « chamans blancs » montre qu’il est exagere de parler d’une religion trop amorphe. C’est vrai que les khans ne soutenaient pas le renforcement du pouvoir des chamans blancs et de leur organisation hierarchique. Ainsi, les tentatives de Teb-Tenggeri, grand chaman de l’Empire mongol, de controler les actions de Gengis Khan a entraine rapidement son execution.
L’expression « ne pretendait pas a une large diffusion » par rapport de la religion tangrai'ste signifie l’absence de l’agressivite, du desir d’imposer leur religion aux autres peuples car elle s’est repandue, plusieurs siecle avant Gengis Khan, sur les immenses territoires du Pacifique au Danube. Elle ne tentait pas de concurrencer les autres religions car, du point de vue des cavaliers des steppes, tous les grandes religion etaient compatibles avec leur religion.
References
1. Grousset R. L’Empire des steppes. - Payot, 1965. - 656 p.
2. Rubrouck G. Voyage dans l’Empire mongol, Imprimerie National. - 1993. - 300 p.
3. Трубецкой Н.С. Наследие Чингисхана. - М: Аграф, 1999. - 554 с.
4. Tomski G. Les amis d'Attila. - Editions du JIPTO, 2005. - 360 p.
Attila : Ilk Avruplu. Istanbul : Papirus, 2005. - 360 p.
5. Tekin T., Olmez M. Les langues turques. - Ankara : Simurg, 1995. - 150.
6. Roux J.-P. La religion des Turcs et des Mongols. - Payot, 1984. - 323 p.
7 Антонов Н.К. Лекции по тюркологии (Cours de la turcologie). - Якутск: ЯГУ, 1976. - 63 с.
8. Гоголев А.И. Якуты. Проблемы этногенеза и формирования культуры - Якутск: ЯГУ, 1993 -
9. Roux J.-P. Histoire de l’Empire mongol. - Fayard, 1993. - 597 p
10. Brion M. Theodoric, roi des Ostrogoth. - Tallendier, 1979. - 365 p.
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