L'EUROPE ET LA CHINE FACE А LA CRISE: POLITIQUES, PERFORMANCES, ENJEUX
X. Richet
Chaire Jean Monnet d'économie européenne
Université de la Sorbonne nouvelle, Paris 17, rue de la Sorbonne 75230 Paris Cedex 05
A la suite de la crise des subprimes qui a vu le jour aux Etats-Unis avec la faillite de plusieurs grands établissements bancaires, la crise financière s'est rapidement propagée à l'Union européenne et à la Chine. Les gouvernements concernés ont rapidement pris des mesures d'envergure pour endiguer le «tsunami» provoqué par la crise afin d'atténuer les effets du choc sur leurs économies et de relancer la croissance.
Mots clés: l'EU, la Chine, la crise.
Les gouvernements ont réagi en accroissant les dépenses publiques, un mélange de mesures fiscales et d'expansion du crédit, pour soutenir des programmes présentant de forts potentiels en termes de croissance par la stimulation de la demande, le financement de grands travaux d'infrastructures, l'injection de liquidités pour sauver le système bancaire. Ces programmes, d'inspiration keynésienne, ont eu un double objectif, de court terme (action immédiate sur la demande) et de moyen terme (action sur les structures). Ils ont été mis en place avec un horizon de temps limité, de deux à trois années selon les pays, l'hypothèse étant que les effets positifs, pour relancer la croissance, apparaîtraient rapidement, ce qui a été le cas dans la plupart des économies concernées.
Après la crise, quel est l'état des lieux, comment les grands sous-ensembles économiques se sont-ils comportés, comment la croissance a-t-elle repris dans ces différentes zones, notamment en Europe et en Chine?
L'Europe, comme les autres grandes économies de marché, est sortie rapidement de la crise mais elle affiche aujourd'hui des performances macro-économiques faibles dans l'ensemble, avec des différences marquées, à la fois au sein des 27 pays membres de l'Union, et des 17 pays membres de l'Euro zone. Le niveau d'endettement reste relativement élevé, le taux de chômage également. Les responsables européens doivent arbitrer entre la lutte contre l'inflation en relavant les taux d'intérêt et le soutien de la demande qui nécessite l'application d'une politique moins laxiste. Impact collatéral, la crise financière en Europe a induit une crise monétaire, liée aux mécanismes de Maastricht (convergence et stabilité) qui régissent le fonctionnement de l'Union économique et monétaire (UEM), menaçant la monnaie commune, l'Euro. Les déficits publics et privés ont accru le niveau de la dette souveraine dans quelques pays du «sud» de l'Union, affublés du douteux acronyme de PIGS (1), alimentant de nombreux débats sur le futur de l'Euro, conduisant les gouvernements membres de l'UEM à mettre en place des instruments de sauvetage d'un type nouveau dont ont bénéficié, à ce jour, la Grèce, l'Irlande et le Portugal. Les effets de la crise sur les mécanismes financiers
et monétaires européens conduisent les responsables européens à reconsidérer le mode de gouvernance de l'Union, et à penser à des politiques plus volontaristes pour stimuler la croissance.
La Chine a recouvré rapidement un taux de croissance élevé, impulsé par des politiques expansionnistes et tous azimuts, mises en œuvre par le gouvernement central et les gouvernements provinciaux. Très rapidement, après avoir subi une brève récession, l'économie chinoise a renoué avec des performances élevées, tant en ce qui concerne la croissance de son PIB que la balance commerciale et l'accumulation de réserves de change. Par ailleurs, elle joue aujourd'hui un rôle moteur dans le développement régional, ayant récemment dépassé le Japon en ce qui concerne le volume du PIB. Les faibles performances des Etats-Unis et l'accroissement de leur dette publique poussent aujourd'hui la Chine à devenir plus active sur les marchés financiers et monétaires internationaux. Sa contribution récente à l'achat de bonds du Trésor grecs et espagnols s'inscrit dans une démarche géopolitique indéniable, tout comme la prise de contrôle d'autres actifs européens (investissements directs). Elle traduit aussi une stratégie de diversification des actifs financiers. Elle alimente le débat sur la question de l'appréciation du Yuan chinois dont la parité est arrimée au $US, de son internationalisation, de son utilisation comme instrument de réserve et comme moyen de paiement international. La création du G20 reconnaît le rôle croissant des économies émergentes, en premier lieu celui de la Chine qui semble encore réticente à s'engager dans la construction d'une nouvelle architecture financière internationale.
Par contre, la sortie de crise de l'économie chinoise conduit à s'interroger sur la capacité de cette économie à changer son modèle de croissance, en abandonnant le modèle basé sur la promotion des exportation, sur le développement marqué de l'investissement, notamment dans des secteurs pas toujours productifs au détriment des ménages dont le taux d'épargne finance ce modèle de croissance.
La section 1 rappelle les contenus et l'impact des plans de relance adopté par l'Union européenne. La section 2 apprécie les performances et montre comment la relance en Europe a débouché sur la crise monétaire et celle du mécanisme de convergence et de stabilité. La section 3 analyse la stratégie chinoise de stabilisation et de relance de son économie et évoque les problèmes auxquels elle se trouve confrontée. En conclusion, on présente quelques enjeux des politiques de sortie de crise auxquels sont confrontées l'UE et la Chine
L'impact de la crise des subprimes sur l'économie européenne. L' UE à 27 a été frappée rapidement par la contagion de la crise des subprimes, de nombreux établissements bancaires européens ayant accumulé des obligations toxiques via la «titrisation» d'engagements risqués et douteux. Les effets de la crise se sont rapidement fait sentir sur les taux de croissance du PIB, l'inflation, le chômage, la production industrielle, les échanges extérieurs avec le reste du monde, la contraction des échanges au sein de la zone. Le taux de croissance du PIB dans la zone Euro s'est rapidement contracté, passant de près de 2% en moyenne au 1er semestre 2008 à près de -10% au premier semestre 2009, celui de l'investissement en capital fixe de près de 4% à -15% sur la même période. L'inflation est remontée au moins de deux points (de 2% à 4%); quant
au chômage, il a progressé dans l'ensemble de l'Union, se fixant à une moyenne de 10% de la population active. La contraction des échanges à l'intérieur de l'UE à 27 a été particulièrement sensible en raison du degré d'intégration entre les économies et des relations de sous-traitance entre les pays de l'UE-15 et les nouveaux pays membres.
Le plan de relance européen (EU Recovery Plan) a été un mélange de mesures conjoncturelles et structurelles. En termes de contribution des différents pays membres, c'est une sorte de patchwork, chaque Etat apportant et destinant sa contribution en fonction de ses intérêts nationaux, le plan d'ensemble ressemblant à une sorte de puzzle où chaque pièce s'emboîte avec les autres.
L'accent a été mis sur des investissements rapides s'intégrant dans les priorités définies dans la Stratégie de Lisbonne, ciblant plusieurs domaines tels que l'aide à la création d'entreprises, au développement d'un bon environnement des affaires, à la recherche et à l'innovation, à l'économie de l'intelligence. L'autre volet du plan, à plus long terme, s'est centré sur le développement des infrastructures et les économies d'énergie.
Parmi les objectifs de court terme, le plan européen visait trois cibles: l'aide à l'emploi (réductions fiscales, notamment en direction des PME, réduction des charges salariales pour stimuler l'emploi; injections de liquidités dans le système financier visant à renforcer les banques et à leur permettre de disposer de moyens nécessaires pour soutenir les projets d'investissement des entreprises).
Les choix des instruments et les horizons de temps ont différé, certain pays privilégiant un engagement rapide (année 1 versus année 2) en termes d'incitations fiscales, et d'augmentation des dépenses publiques, d'autre préférant un étalement sur une plus longue période. Les sommes affectées, en moyenne, ont oscillées entre 1,5% et 2% du PIB national. Le consensus parmi les pays européens, les autres grandes économies ainsi que les organisations internationales (FMI, OCDE) était que les programmes de sauvetage devaient être temporaires, cohérents et ciblés.
A peu près tous les pays membres du G20 (une conséquence organisationnelle de la crise), et en premier lieu les membres du G7, ont tous appliqué un ensemble de réformes fiscales dont les taux et les assiettes ont pu varier d'un pays à l'autre, et de réduction des dépenses s'élevant, en moyenne, autour de 1.5% du PIB mondial. Les politiques économiques appliquées ont décrit une courbe en V avec un déclin rapide de la production suivie d'un redémarrage soutenu. Dans la plupart des cas, la courbe a plutôt adopté la forme du V d'une racine carrée V, à savoir celle d'une reprise vigoureuse suivie d'une faible croissance à l'exception de la Chine et de plusieurs économies asiatiques. Certains conjoncturistes prévoient une rechute (courbe en W) dans les cas où la stabilisation financière n'était pas durablement renforcée et les déficits publics pas rapidement résorbés.
L'application des mesures de relance en Europe a eu un effet contra cyclique rapide dés la première année, le taux de croissance revenant rapidement, comme celui des autres grandes régions, proche du niveau qu'il avait précédemment, lors du déclenchement de la crise. L'impact sur les déficits publics et sur l'emploi est plus durable, le niveau de chômage, 10% en moyenne dans l'UE-27 (9,6% dans la Zone Euro) montre
une grande dispersion selon les pays: plus faible en Allemagne et les pays proches, plus élevé au sud (20% en Espagne). En niveau, le taux de chômage moyen rejoint celui des Etats-Unis.
Les pays européens se sont engagés à réduire les déficits publics rapidement et à revenir vers les critères de Maastricht (3% de déficit budgétaire, 60% de dette par rapport au PIB). Le niveau des déséquilibres (fig. 1) obère la croissance à venir, la déflation guette plusieurs économies, et une nouvelle récession (double deep) peut se profiler si la reprise est affaiblie par les marges de manœuvre limitées des Etats s'ils ne s'engagent pas dans des programmes sévères de réduction des déficits, d'allongement de la durée de vie active des salariés, projets résumés dans le «Pacte de compétitivité proposé par les chefs de gouvernements allemand et français. Les déséquilibres cumulés, les contraintes budgétaires douces à l'égard des banques et des institutions financières dont ont fait preuve les gouvernements à l'égard des banques (Irlande, Espagne) sont à l'origine de la crise des dettes souveraines et des pressions sur la monnaie commune (l'Euro).
Solde budgétaire, en % du PIB Dette publique, en % du PIB
97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10e 11p 12p g7 g8 9g Q0 01 Q2 Q3 Q4 Q6 Q7 Q8 Qg 10e 11p 12p
Fig. 1. Soldes budgétaires et dettes publiques Source: Conjoncture BNP-Parisbas
De la crise financière à la crise monétaire: la déstabilisation de l'Euro. Le sauvetage du système bancaire européen a rapidement eu un effet pervers sur le système financier et monétaire européen. Les plans de relance, en introduisant de la liquidité via l'augmentation des déficits publics, a permis de renflouer les banques pour les inciter à financer la reprise. Paradoxalement, le renflouement des banques a redonné du pouvoir aux marchés financiers pour apprécier les risques représentés par les différents instruments financiers, notamment des obligations d'Etat émises par les gouvernements des pays membres (fig. 1). Les obligations d'Etat à dix ans (dettes souveraines.) émises par les différents Etats ont montré d'importants écarts (spreads) mettant en danger le système monétaire européen alors que la résistance de celui avait été louée lors de la crise: pour les responsables européens, du Conseil, de la Commission et de la BCE, il était à l'origine de la résilience de l'économie européenne face à la crise financière.
La crise monétaire trouve son origine dans le principe même de l'établissement de l'Union Economique et Monétaire (le traité de Maastricht) qui a signifié l'abandon de la souveraineté monétaire des Etats signataires du Traité. En raison de l'absence de fédéralisme fiscal et de la forte réticence des Etats à mettre en œuvre un mécanisme
d'aide (transferts vers les pays endettés), aucun mécanisme de sauvetage n'a été mis en place. Les Etats endettés détiennent des dettes qui ne sont plus libellées dans leur monnaie nationale. Ils ne peuvent plus dévaluer pour regagner des marges de compétitivité. Les principes de la convergence et du contrôle des déficits (déficit budgétaire, déficit public) et la discipline communautaire étaient jugés suffisants pour encadrer les choix des gouvernements dans leurs politiques budgétaires. Effet positif du système pour certains pays (pervers pour le mécanisme), l'endettement en € des institutions financières des pays membres de l'euro zone à coût au départ faible, a entraîné, dans certains pays, une mauvaise allocation des ressources, conduisant à créer et à alimenter des bulles spéculatives (comme dans le secteur du bâtiment en Espagne). Ce mécanisme s'est propagé à l'ensemble du système financier et a entraîné rapidement la hausse des coûts des emprunts sur le marché des obligations en Euro. Malgré les réticences manifestées notamment par l'Allemagne, les pays les plus touchés, la Grèce et l'Irlande, puis le Portugal ont finalement reçu des aides de la part de l'Union européenne pour faire face à leurs dettes, grâce à la mise en place de politiques d'ajustement particulièrement contraignantes.
I Sovereign-debt risk
Score, 100=hlghestrisk 2000 ™2010
0 10 20 30 40 50 60 70
Greece Brazil Portugal Italy
Austral ¡a ^^^^^^^^^^^^^^^
Russia Britain Ireland China Spain France Austria Germany United States
Source: Economist Intelligence Unit
Fig. 2. Spreads sur les obligations et les risques des dettes souveraines Source: CEPII, The Economist
A côté des mécanismes de stabilité et de convergence que les grands pays membres ont l'intention de renforcer, les dirigeants européens ont adopté plusieurs mesures pour maintenir la cohérence de l'UEM et la valeur de l'Euro sur les marchés monétaires, et pour renforcer la discipline au sein de l'euro zone. Mais ne se dirige-t-on pas vers un déséquilibre durable (2) avec la montée en force des pays du nord de l'Europe, la zone allemande (Pettis, 2010), renforcée par l'adoption du Pacte de compétitivité, première phase de la mise en place d'un gouvernement économique européen?
Aujourd'hui, la réflexion des dirigeants de l'Union européenne se concentre sur les suivants:
— définir un pacte de compétitivité qui devrait rapprocher les différentes économies de l'Union européenne en se concentrant sur les réformes à conduire en vue de maîtriser les salaires, assouplir le marché du travail, contrôler l'explosion des dépen-
ses publiques et réformer les retraites. Le volet fiscal de ce projet prévoit la mise en place d'une assiette européenne pour le calcul de l'impôt sur les sociétés (lutte contre le dumping fiscal pratiqué par certains pays de l'Euro zone dont l'Irlande);
— renforcer le Fonds européen de stabilité financière (FESF), un mécanisme financier permettant aux Etats en ayant besoin, de tirer des ressources pour les aider à surmonter leurs difficultés. Ces ressources, d'un montant de 750 milliards d'Euros, proviendront de plusieurs sources, notamment du FESF, qui aura une capacité d'emprunt de 440 milliards d'Euros. Le Mécanisme européen de Stabilité qui lui succédera en 2013 sera doté de 500 milliards.
La crise de la dette souveraine aura donc été un «véritable choc fédéral», les pays de l'Euro zone convergeant vers l'idée d'une politique économique unique.
Le paquet des mesures fiscales chinois. Les économies asiatiques ont été touchées par la crise mais elles ont montré plus de résilience. L'adoption de politiques contra cycliques a permis d'atténuer l'impact de la crise et de rebondir plus rapidement, en affichant un différentiel certain en terme de croissance de leur PIB avec les pays membre de l'Union européenne et des Etats-Unis; comme dans les autres régions, la crise s'est traduite pas un ralentissement de la croissance et notamment la réduction des exportations.
La politique économique appliquée par la Chine a facilité le retour à une croissance vertueuse rapide. La sortie de crise soulève toutefois plusieurs questions concernant le changement de modèle de croissance (vers une croissance tirée par la demande interne?) et elle soulève aussi la question de l'appréciation du yuan.
En 2008, l'économie chinoise est entrée en récession et a enregistré une baisse de ses exportations en direction des marchés développés (qui reçoivent 40% de ses exportations) en raison d'un affaiblissement de la demande et de l'application de politiques protectionnistes. Le commerce extérieur a commencé à décliner rapidement au cours de l'année 2009, se faisant ressentir sur le niveau de l'emploi dans les régions traditionnellement exportatrices. La croissance du PIB est passée de 13% à 8,7% en 2009, et la Chine a connu une baisse de ses placements financiers à l'étranger frappée par la perte de valeur des obligations américaines et la dévaluation du US$. Sur le plan domestique, les banques chinoises ont été épargnées par la crise, leur profitabilité s'est même accrue au cours de la crise, ce secteur étant protégé et faiblement exposé à l'économie mondiale; leurs comptes de capitaux ne sont pas libérés, ce qui freine l'entrée et la sortie de capitaux. Le ratio des réserves obligatoires est beaucoup plus élevé que dans les grandes économies de marché développées, notamment les Etats-Unis, limitant les capacités de prêts, phénomène amplifié par l'aversion au risque des banques chinoises.
Les mesures anti-crise se sont concentrées autour de cinq grands domaines:
— le renforcement de la régulation macroéconomique pour stimuler l'économie par l'adoption de politiques fiscales proactives et d'une politique monétaire modérément lâche. La dépense publique, dés 2009, s'est déployée vers les campagnes, le développement social, la recherche-développement, les économies d'énergie et l'environnement, les grandes infrastructures, l'aide aux zone affectées par le tremblements de terre (Sichuan)
(fig. 3);
— l'encouragement des exportations et la stimulation de la demande domestique, notamment avec l'abaissement des taxes à l'exportation, de la fiscalité appliquée aux
transactions immobilières, une plus grande assistance aux petites et moyennes entreprises, la baisse des prix pour l'achat de biens durables par les paysans;
— une politique de crédit généreuse. Les banques chinoises ont accordé des prêts se montant à 31% de du PIB en 2009. Le gouvernement a relâché les contraintes sur la croissance du crédit en relaxant les mesures limitant l'achat de biens mobiliers, et en réduisant les taux d'intérêt et les taux de réserves obligatoires. Cette politique a eu un effet immédiat sur l'achat de logements et le soutien au secteur automobile;
— le maintien de la stabilité du taux de change en fixant la valeur du RMB sur le dollar alors que, depuis 2005, il s'appréciait régulièrement contre le $US;
— l'engagement d'un programme d'ajustement structurel de l'économie chinoise en distribuant plus de moyens à l'agriculture et aux zones rurales, en contrôlant les surcapacités des aciéries, des centrales électriques redondantes, en encourageant le développement d'énergies propres, des technologies de l'information, des liaisons ferroviaires à grande vitesse;
— la réduction de l'impact de la crise dans le domaine social en accordant aux entreprises des délais de paiement pour les dépenses de sécurité sociale et les impôts, en développant des programmes de formation et de recyclage de la main d'oeuvre privée d'emplois, l'extension des bénéfices de la sécurité sociale dans les régions rurales, en encourageant la construction de maisons à faible loyer pour les revenus modestes, et en cherchant à améliorer le fonctionnement du système médical.
Fig. 3. Distribution sectorielle du stimulus fiscal chinois de 4000 milliards de Yuans Source: National Developement and Reform Commission
En résumé, le programme a mobilisé d'importantes ressources, en privilégiant le développement des infrastructures industrielles et les transports, et en soutenant massivement la demande dans les secteurs du logement et de l'automobile. Le programme a eu aussi une dimension géographique avec des objectifs définis centralement mais aussi avec la duplication au niveau des provinces. Il y a eu un effet multiplicateur important pour des industries en amont et en aval dans de nombreux secteurs Le programme, cohérent dans sa conception, s'est inscrit dans la durée (3 ans) et a eu un effet multi-sectoriel. En même temps, il a été une réponse au déclin — relatif — du commerce ex-
térieur dû à la contraction provisoire de la demande externe. Enfin, l'inflation a été contenue, au moins au début, en raison de l'existence de surcapacités qui ont eu un effet anti-inflationniste.
Les mécanismes d'affectation des ressources ont induit de nombreuses distorsions. Les entreprises d'Etat ont été favorisées, ce qui a conduit à l'augmentation de leurs ressources disponibles et à des formes de re-nationalisations, des firmes d'Etat pouvant prendre ainsi le contrôle de firmes privées souvent plus performantes. Pour les ménages possédant déjà un bien immobilier, l'accès facile au crédit à créé un effet de levier permettant d'emprunter pour acheter un autre bien. A contrario, l'accès au crédit a été plus difficile pour les petites et moyennes entreprises confrontées aux réticences des banques. Enfin, en dépit de la cohérence apparente du programme, une partie des sommes affectées à ce programme n'ont pas pu être dépensées ou ont été affectée à des projets qui n'ont pas eu beaucoup d'impact sur le soutien de l'activité.
La reprise s'est manifestée rapidement avec la hausse du produit intérieur, la plus forte parmi les économies de la région, l'accroissement des réserves de change, la reprise des exportations. Pour de nombreux spécialistes chinois, la crise est imputable au capitalisme déréglementé américain. Cette crise a néanmoins joué un rôle de révélateur pour les dirigeants chinois en ce qui concerne la robustesse de la croissance, la fiabilité et la pérennité du modèle économique qui a connu un succès indéniable au cours des trente dernières années; un modèle mercantiliste tiré par les exportations facilitant l'accumulation de réserves mobilisées pour financer l'expansion internationale de cette économie (Brunet, Guichard, 2011).
Le tableau ci-dessous illustre trois choses: la reprise d'ensemble rapide des économies asiatiques, les écarts en termes de performances entre les principales économies et les sous-ensembles régionaux, enfin la forte résilience de l'économie chinoise face à la crise imputable aux effets des mesures adoptées et mises en œuvre par le gouvernement chinois.
Tableau
La reprise asiatique
Pays Real GDP
2007 2008 2009 2010
Emerging Asia 9,8 6,8 3,3 5,3
China 13,0 9,0 6,5 7,5
South Asia 8,7 7,0 4,3 5,3
India 9,3 7,3 4,5 5,6
Pakistan 6,0 6,0 2,5 3,5
Bangladesh 6,3 5,6 5,0 5,4
ASEAN-5 6,3 4,9 0,0 2,3
Indonesia 6,3 6,1 2,5 3,5
Thailand 4,9 2,6 -3,0 1,0
Philippines 7,2 4,6 0,0 1,0
Malaysia 6,3 4,6 -3,5 1,3
Vietnam 8,5 6,2 3,3 4,0
Newly industrialized Asian economies 5,7 1,5 -5,6 0,8
Korea 5,1 2,2 -4,0 1,5
Taiwan Province of China 5,7 0,1 -7,5 0,0
Hong Kong SAR 6,4 2,5 -4,5 0,5
Singapore 7,8 1,1 -10,0 -0,1
Source: IMF
La sortie de crise confronte l'économie chinoise à de nouveaux enjeux liés aux pressions inflationnistes, au développement de bulles financières (logement) d'une part, mais aussi à la question du changement de modèle économique (rebalancing). La raréfaction des emplois industriels conduit à l'augmentation rapide des salaires, notamment dans les industries des régions exportatrices de produits à faible valeur ajoutée. La Chine, par ailleurs, se trouve confrontée aux pressions de ses partenaires qui demandent l'appréciation rapide du yuan contre le dollar et l'Euro.
Sur le plan domestique, elle soulève la question souvent évacuée par les responsables chinois, du changement de modèle de croissance reposant sur la demande interne. Ceci impliquerait, de la part du gouvernement chinois, d'investir massivement dans les infrastructures et les services sociaux (éducation, retraites, santé) permettant aux ménages chinois de réduire leur niveau d'épargne. Parallèlement, une autre mesure concerne la réforme du système financier domestique afin de canaliser les ressources disponibles de façon plus rationnelle et plus efficace.
Au niveau international une question cruciale concerne la participation active de la Chine à la reconstruction de l'architecture financière internationale avec trois points importants: la diversification des actifs financiers de la Chine, le rôle international du Yuan (le Yuan inconvertible peut-il jouer un rôle majeur sur le plan international?), enfin la participation active de la Chine au sein du G20 et à la réforme du système monétaire international.
Conclusion: après la crise, quelques enjeux. Si les perspectives économiques au niveau mondial semblent prometteuses, la sortie de crise des économies européennes et chinoises pose quelques enjeux qui tiennent aux performances macro-économiques, à la consolidation des mécanismes de coordination et de convergence (Europe), au contrôle de l'inflation, à la gestion des surplus financiers, à la redistribution des richesses et à la réallocation des ressources (Chine) dans le cadre d'une croissance économique encore pleine d'incertitudes.
L'adage dit que la construction européenne progresse à travers les crises successives que l'Union traverse en scellant des compromis souvent durables qui servent de socles pour des développements futurs La crise financière de 2008, indéniablement, illustre ce précepte. Le mécanisme à la base du fonctionnement de l'Euro zone a été particulièrement touché mettant en avant les limites des mécanismes d'aide et de transferts internes à la zone. Les difficultés rencontrées par les GIPS (un acronyme plus élégant pour désigner les pays à la périphérie de l'Euro zone: Grèce, Irlande, Portugal et Espagne) a créé de fortes turbulences sur la zone euro et a mis en doute la viabilité à moyen terme de l'Euro. Les propos sont aujourd'hui moins pessimistes en raison de la légère reprise économique, notamment en Espagne, dont les comptes sont fortement dégradés.
Quatre questions importantes conditionnent le futur de l'Europe à moyen terme:
— la capacité des pays qui ont fait défaut (Grèce, Irlande, bientôt le Portugal) à mettre en œuvre des plans d'ajustements, moyennant le soutien direct (les nouveaux mécanismes communautaires), et indirect des autres pays de l'Euro zone (allègement, voire effacement de la dette);
— l'arbitrage en Allemagne entre le renforcement du système bancaire et la défense de l'Euro qui impliquerait que l'Allemagne opère des transferts en direction des pays endettés («l'Allemagne paiera»);
— la capacité des pays de l'Euro zone à se mettre d'accord sur le contenu et la mise en œuvre du pacte de compétitivité;
— la politique de lutte contre l'inflation et les effets négatifs sur les exportations européennes d'une trop forte hausse de l'Euro contre le dollar US.
Les enjeux pour l'économie chinoise sont d'un ordre tout à fait différent. Au plan macro-économique, le gouvernement chinois a relancé la croissance grâce au paquet de mesures appliquées pour se protéger de la crise. L'investissement et la consommation domestique contribuent en grande partie à la croissance du PIB. A court terme, le gouvernement doit contrôler l'inflation, accroître les taux d'intérêt et contrôler la formation de bulles spéculatives (secteur du logement).
Plus fondamentalement, le gouvernement chinois va se trouver confronté au changement de modèle de croissance basé sur la sous-consommation des ménages (35% du PIB au cours de la dernière décennie), et à la formation d'un taux d'épargne excessif. C'est l'épargne des ménages qui a subventionné le boom des investissements et a contribué à financer les crédits douteux. Se tourner vers une croissance plus équilibrée implique l'abandon de ce modèle qui a connu un si grand succès, réduire le niveau des investissements, en particulier les investissements inutiles, soutenus par l'épargne des ménages. On change difficilement un modèle qui gagne pour le passage à un modèle de croissance basé sur la consommation et une distribution plus rationnelle et efficiente des investissements, passage qui risque de prendre quelque temps.
En même temps, les choix des gouvernements européens et chinois ne sont pas indépendants de la politique économique américaine...
REFERENCES
(1) Pour Portugal Irlande, Grèce et Espagne.
(2) Pour certains, l'émergence d'un double Euro, l'un du nord (le Neuro), du sud de l'Europe (le Sudo), pourrait voir le jour, comme le suggère Martin Taylor (2010) avec un taux de change interne!
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ЕС И КИТАЙ ПЕРЕД УГРОЗОЙ КРИЗИСА: ПОЛИТИКА ПРАВИТЕЛЬСТВ, ПОКАЗАТЕЛИ, ЦЕЛИ
К. Рише
Кафедра экономики Европы им. Жана Монне Университет Сорбонна ул. Сорбонна, 17, Париж, Франция, 75230
Вследствие долгового кризиса, который разразился в США в связи с банкротством нескольких крупных банковских учреждений, пострадали и страны ЕС, и Китай. Правительства этих стран приняли оперативные меры для сдерживания кризисных последствий и поиска новых путей экономического роста.
Ключевые слова: ЕС, Китай, кризис.