A. Yu. Mitrofanov
Anselme de lucques, la liturgie et le droit canonique de l'église ancienne
La querelle des Investitures, conséquence politique de la Réforme grégorienne effectuée par Grégoire VII après 1073, peut être considérée comme le moment central de l'histoire de l'Église en Occident au Moyen Age. Cette lutte a été provoquée par le conflit entre des principes différents concernant l'existence de l'Église: la liberté politique et sociale, réalisée dans le cadre de la Réforme effectuée par le pape Grégoire VII, a rencontré la résistance des forces liées à la Cour impériale et de la tradition ecclésiastique basée sur le modèle des rapports entre l'Église et l'Empire à l'époque ottonienne et même carolingienne. Le césaro-papisme allemand, devenu réalité après le couronnement d'Otton Ier en 962, et les liens sociaux entre la hiérarchie épiscopale, le clergé et les familles nobles empêchaient de réaliser le programme de changement de la vie de l'Église au sens évangélique, commencé par les moines de Cluny. Les défauts devenus habituels de la plupart des prélats — simonie, mépris de la chasteté, asservissement aux princes séculiers — ont suscité la Réforme effectuée par la force politique exercée par les papes Alexandre II et Grégoire VII1. La lutte entre la papauté et l'Empire est
1 «Como es sabido, en la programma general de la Reforma del papa san Gregorio VII (1073-1085), la libertas christiana incluía dos objetivos esenciales a conquistar: en primer lugar la independencia de lo espiritual respecto al poder temporal y la afirmación del papado como entidad política soberana, dentro del sistema feudal y promoviendo la infeudación de territorios a la Sede apostólica; en secundo lugar la centralización y el control de las Iglesias nacionales bajo la Sancta Romana et uniuersalis Ecclesia, rectora de la Cristiandad»: Rubio Sadia, J. P. Las Ordenes religiosas y la introducción del Rito Romano en la Iglesia de Toledo. Toledo, 2004. P. 45. © А. Ю. Митрофанов, 2018
devenue une page dramatique de l'histoire médiévale, au même titre que les croisades ou la naissance de la philosophie scolastique. L'esprit de cette époque héroïque et sanglante se reflète dans les œuvres des contemporains, écrites pour glorifier les promoteurs de la Réforme grégorienne. Anselme de Lucques est devenu un collaborateur fidèle de Grégoire VII et il a participé dans toutes les demarches politiques du pape2.
L'ecclésiologie d'Anselme de Lucques exprimée dans les livres de la «Collection canonique» qu'il a composés, repose sur deux piliers: les citations bibliques récupérées à travers les interprétations des Pères latins et les «Fausses Décrétales»3. La citation néotestamentaire principale de la vision anselmienne de l'Église est le dialogue fameux entre le Christ et saint Pierre (Mt. 16, 18)4. Ce dialogue, dans lequel le Christ a donné les clefs du royaume des cieux à Pierre, a influencé la doctrine du pouvoir du pape de Rome comme celui du successeur de Pierre en Occident à partir du Décret dit «Gélasien» (380) jusqu'aux premières collections grégoriennes. Notre considération de l'ecclésiologie d'Anselme se base sur l'examen des rubriques les plus caractéristique des livres I-IV d'après la version «A» en s'appuyant sur le plan suivant: la position du pape dans l'Église universelle d'après Anselme de Lucques, le droit d'appel et la procédure judiciaire ecclésiastique du point de vue d'Anselme.
La position du pape dans l'Église universelle d'après la vision d'Anselme de Lucques
En suivant les auteurs des «Fausses Décrétales» au début de la «Collection», Anselme de Lucques cite le pseudo-Anaclet et déclare que «l'ordre sacerdotal a commencé par Pierre après le Christ — Seigneur dans le nouveau testament» (L. I. 1)5. Il faut admettre que le texte du Pseudo-Anaclet,
2 Cowdrey, H. E. Pope Gregory VII 1073-1085. Oxford, 1998. P. 459-467.
3 Mitrofanov, A. L'Ecclésiologie d'Anselme de Lucques (1036-1086) au service de Grégoire VII: Genèse, contenu et impact de sa «Collection canonique». Turnhout, 2015. P. 115-152.
4 «Et ego dico tibi quia tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam et portae inferi non praeualebunt aduersum eam et tibi dabo claues regni caelorum et quodcumque ligaueris super terram erit ligatum in caelis et quodcumque solueris super terram erit solutum in caelis»: Mt. 16, 18.
5 «Quod in nouo testamento post Christum dominum a Petro sacerdotalis coeperit
devenu le moyen de la transmission de la citation évangélique, avait pour base originale le «Décret Gélasien». Le fragment du Pseudo-Anaclet, cité à la fin du Ier livre de la Collection, développait la pensée «géla-sienne» d'une manière plus élargie (L. I. 66)6. D'après Anselme, l'Église de Rome a obtenu le primat, reçu du Seigneur lui-même, primat que les apôtres Pierre et Paul ont consacré par leur mort, subie dans le même jour; et le siège Romain est le premier, l'Alexandrin est le deuxième et l'Antiochien est le troisième. Il est évident que l'évêque de Lucques répétait les paroles du Pseudo-Anaclèt, écrites au IXe siècle7. Le texte pseudo-anaclétien, récupéré par Anselme, représente la citation du «Décret Gélasien», répétée aussi dans l'Histoire ecclésiastique de Rufin et dans l'introduction de la «Collection Quesnelliana». Il est évident que l'essence de l'ecclésiologie d'Anselme de Lucques avait ses origines dans la théologie de l'époque de Damase et de Sirice. Il faut rappeler donc que l'épisode évangélique, raconté par saint Matthieu, a été répété dans plusieurs fragments patristiques ainsi que dans les textes des «Fausses Décrétales» non pseudo-anaclétiens, repris par Anselme.
La compréhension patristique de l'épisode évangélique, raconté par saint Matthieu, était plus générale, plus spirituelle; elle n'avait pas d'intention juridique bien exprimée. C'est pourquoi, probablement, Anselme préférait citer les «Fausses Décrétales» pour représenter la fonction gouvernante et canonique du primat de saint Pierre. Les paroles
ordo. In nouo testamento post Christum dominum nostrum a Petro sacerdotalis coe-perit ordo quia ipsi primo pontificatus in ecclesia Christi datus est dicente Domino: Tu es, inquit, Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam et portae inferi non preualebunt aduersus eam et tibi dabo claues regni caelorum. Hic ergo ligandi soluendique licentiam primus accepit a Domino primusque ad fidem populum gratia Dei uirtute suae predicationis adduxit»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio cano-num una cum collectione minore / Ed. F. Thaner. Oeniponte, 1906-1915. P. 7.
6 «Haec uero sacrosancta Romana ecclesia et apostolica non ab apostolis sed ab ipso Domino saluatore nostro primatum obtinuit sicut ipse beato Petro apostoo dixit: Tu es P. et reliqua usque soluta et in caelo»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 34.
7 «Quod Romana ecclesia ab ipso Domino primatum obtinuit et quod ambo apostoli Petrus et Paulus una die sua eam morte consecrauerunt et quod ipsa prima sedes est secunda Alexandrina tertia Antiocena»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio cano-num una cum collectione minore. P. 34.
8 Mitrofanoff, A. Anselme de Lucques et la Collection Quesnelliana, in: Cristianesimo nella storia. Vol. 33. Bologna, 2012. P. 759-773.
de Jésus-Christ, adressées à saint Pierre, (Mth. XVI, 18-19) étaient une source dogmatique de la doctrine de la primauté pour Anselme qui justifiait une interprétation grégorienne de ces paroles par les autres fragments, pris des «FaussesDécrétales». Les plusieurs textes pseudoisidoriens ont été récupéré de la «Collection en 74 titres»9. Sauf des textes de Pseudo-Anaclet (L. I. 1, 2, 7, 66) il a récupéré les textes de Pseudo-Clément (L. I. 3-6), Pseudo-Jule (L. I. 8, 17, 23, 38), Pseudo-Vigile (I, 9), PseudoPius (L. I. 11, 22), Pseudo-Calixte (L. I. 12), Pseudo-Lucius (L. I. 13, 35), Pseudo-Denys (L. I. 14), Pseudo-Marcel (L. I. 15), Pseudo-Marcelin («Bb» L. I. 37), Pseudo-Eusèbe (L. I. 16), Pseudo-Damase (L. I. 18, 54), Pseudo-Sôter (L. I. 32), Pseudo-Zéphyrin (L. I. 33), Pseudo-Fabien (l. I. 34), Pseudo-Sixte (L. I. 36), Pseudo-Liberius (L. I. 39), Pseudo-Pelagius (L. I. 52), Pseudo-Anther (L. I. 53), Pseudo-Jean (L. I. 55), Pseudo-Marc (L. I. 60). Ces fragments devaient souligner la valeur théologique de la succession de Pierre. En outre, Anselme utilisait des apocryphes, devenus des arguments canoniques pour la justification de la monarchie pontificale. Par exemple il a pris une lettre douteuse d'Athanase d'Alexandrie au pape Marc, dans laquelle Athanase avait demandé au pape de renvoyer avec son approbation les décrets du concile de Nicée (L. I. 59). La conclusion de cette lettre, soulignée par Anselme par une remarque «Et infra», avait dit: «Nunc ergo optamus ut a uestrae sedis auctoritate quae est caput et mater omnium ecclesiarum ea ad correptionem fidelium orthodoxorum percipere per presentes legatos mereamur»10. Cette lettre douteuse se trouvait dans la «Collection» d'Anselme après un document d'une valeur similaire. Ce document représentait une pétition du concile de Nicée, adressée au pape Silvestere, dans laquelle les participants avaient demandé de confirmer les décrets du concile (L. I. 58).
En outre Anselme de Lucques a confectionné une collection de fragments patristiques, accordés aux textes pseudo-isidoriens. En particulier nous rencontrons la citation de saint Matthieu (16, 18) dans les fragments
9 Szuromi, S. A. Anselm of Lucca as a canonist. Adnotationes in ius canonicum. Vol. 34. Frankfurt am Main, 2006. P. 55-67; Cushing, K. Papacy and Law in the Gregorian Revolution: The Canonistic Work of Anselm of Lucca. Oxford, 1998. P. 72, 147-157, un liste des fragments pseudoisidoriens pris immediatement ou de la «Collection en 74 titres» P. 210-213, un liste des fragments canoniques pris de la «Collection en 74 titres» P. 213-215.
10 Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 30.
de saint Cyprien de Carthage, pris de son livre sur l'unité de l'Église catholique (L. I. 10)11, dans le fragment de Pseudo-Pie (L. I, 12, 22)12, Pseudo-Marcel (L. I. 15)13, Pseudo-Eusèbe (L. I. 16)14, Pseudo-Jules (L. I, 17, 23)15, les libelli d'Ennodius (L. I, 24)16, Pseudo-Lucius (L. I. 35)17,
11 «Quod super unum id est Petrum aedificauit Dominus ecclesiam suam. Ex epistola sancti Cipriani»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 11.
12 «Vt nemo dissentiat a Romana ecclesia quae est caput omnium ecclesiarum. Ins-truimus uos apostolica auctoritate omnes eadem seruare debere quae et nos serua-mus nec debetis a capite quoquo modo dissidere: In Christo enim habitat omnis plenitudo diuinitatis corporaliter ut sitis in illo repleti qui est caput omnis principa-tus et potestatis, qui et hanc sanctam apostolicam sedem omnium ecclesiarum caput esse precepit ipso dicente principi apostolorum Petro: Tu es P. et s. h. p. aedificabo ecclesiam meam et portae inferi non preualebunt aduersus eam, et cetera»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 11-12.
13 «Vt Antiocena ecclesia Romanae sit subiecta nec ab eius dissentiat dispositione. Roga-mus uos fraters dilectissimi ut non aliud doceatis neque sentiatis quam quod a beato Pe-tro apostolo et reliquis apostolis et patribus accepistis. Ipse enim caput est totius eccle-siae cui ait dominus: Tu es P. et s. h. p. aedificabo ecclesiam meam, et reliqua»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 13.
14 «Quod prima salus est regulas rectae fidei custodire et statutis partum non deuiare sicut Romana permansit ecclesia beati Petri sacerdotio ditata... Nec potest domini nostri Iesu Christi sententia praetermitti dicentis: Tu es P. et s. h. p. et reliqua. Et haec quae dicta sunt rerum probantur effectibus quia in sede apostolica extra maculam semper est seruata catholica religio»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 14.
15 «Quod Romana ecclesia omnibus est prelata non tantum canonum decretis sed uoce ipsius saluatoris. Romana ecclesia omnibus maior et prelata est ecclesiis quae non solummodo canonum et sanctorum patrum decretis sed domini saluatoris nos-tri uoce singularem obtinuit principatum: Tu es inquiens Pe. s. h. p. et reliqua»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 14.
16 «Quod papa a nullo nisi a deo erit iudicandus. Aliorum hominum causas uoluit deus per homines terminare sedis istius presulum suo sine quaestione reseruauit arbitrio. Voluit beati Petri apostoli successores caelo tantum debere innocentiam et subtilissimi discussoris indagini inuiolatam habere conscientiam . Replicabo uni dictum: Tu es P. et s. h. p. ae. e. m. et quodcumque solueris s. t. erit s. in c»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 16-17.
17 «Quod ecclesia Romana mater omnium ecclesiarum numquam a fide errauit. A recte ergo fide et apostolico tramite propter ullam perturbationem nolite recedere scientes quia iuxta saluatoris sententiam beati sunt qui persecutionem patiuntur propter iustitiam. Haec est apostolorum uiua traditio haec uera caritas quae predi-canda est et precipue diligenda ac fouenda atque fiducialiter ab omnibus tenenda.
saint Grégoire le Grand (L. I. 56)18, saint Léon le Grand (L. I. 57)19, saint Jérôme (L. I. 64)20, Gélase (L. I. 67)21, Maxime de Turin (L. I. 69)22, Anastase le Bibliothécaire (L. I. 72.)23, Grégoire VII (L. I. 80)24. Toutes les autres citations bibliques, trouvées dans les textes récupérés par Anselme, sont plus ou moins arbitraires. Elles ne sont pas utiles pour éclairer la doctrine anselmienne proprement dite, à notre avis. Le premier livre de la «Collection» d'Anselme nous montre une idée centrale de l'ecclésiologie, proclamée par les créateurs de la Réforme grégorienne. On pourrait dire que les titres du livre nous présentent la somme de la doctrine grégorienne, poussée à l'extrême dans le cadre de la guerre pour l'investiture, commencée au début des années 1080. L'analyse de cette somme théologique et canonique nous permettra de préparer une conclusion à propos de sa doctrine.
Haec sancta et apostolica mater omnium ecclesiarum Christi ecclesia quae per dei omnipotentis gratiam a tramite apostolicae traditionis numquam errasse probatur nec hereticis nouitatibus deprauanda succubuit sed in exordio normam fidei Chris-tianae percepit ab auctoribus suis apostolorum Christi principibus illibata finetenus manet secundum ipsius domini saluatoris diuinam pollicitationem qui suorum disci-pulorum principi in suis fatus est euangeliis: Petre inquiens ecce sathanas expetiuit uos ut cribraret sicut triticum ego autem pro te rogaui ut non deficiat fides tua et tu aliquando conuersus confirma fraters tuos...»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 21.
18 «Quod in ua catholica ecclesia apostolicae sedi subiecta uera Christi hostia immola-tor»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 28.
19 «Quod ab apostolica sede fidei ueritas est inquirenda tamquam ab ipso Petro qui fidei plenitudinem breuiter complexus est dicens: «Tu es Christus» et cetera»: Ansel-mi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 29.
20 «Qui comederit agnum extra ecclesiam beato Petro eiusque successoribus com-missam profanus est»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum col-lectione minore. P. 33.
21 «Quod euangelica auctoritate prima omnium est Romana ecclesia ubi Petrus et Paulus una die morituri sunt»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 35.
22 «Quod sanctus Petrus et Paulus doctores sunt gentium auctores martyrum principes sacerdotum et quod Petrus a solitidate fidei petra dicitur et in naui eius omnes tuti sunt»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 36.
23 Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 44.
24 «Quod apostolico licet imperatores excommunicare ac deponere quod aetiam aliqui fecerunt episcope»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 54.
C'est le fameux J. Gaudemet qui a fait une analyse historique du contenu du premier livre de la «Collection» d'Anselme. Il a découvert la pensée anselmienne en appuyant sur sa méthode de récuperage des canons25. Comme l'a montré l'historien, Anselme de Lucques avait fait une sélection de documents de chancellerie pontificale, justifiant une doctrine de la primauté du pape et la supériorité de l'Église par rapport au pouvoir civil. Ces documents anciens étaient : une lettre du pape Gélase (L. I. 71), adressée à l'empereur Anastase, une lettre du pape Nicolas I, adressée à Michel III, empereur byzantin (L. I. 72), une lettre du pape Nicolas I, adressée à Hincmar, évêque de Reims (L. I. 21), des fragments du «Liber Pontificalis» (L. I. 73, 74, 78, 81), de l' «Histoire» d'Anastase le Bibliothecaire (L. I. 75, 76, 77), des Registres des papes Hadrien, Etienne et Jean VIII (L. I. 79, 82, 83, 84), un fragment de Pierre Damien, destiné aux clercs (L. I. 63), une lettre du pape Grégoire VII, adressée à Germain, évêque de Metz (L. I. 80), un serement d'Otton I, empereur du Saint-Empire Romain (L. I. 86), une lettre du pape Jean II, adressée à Justinien I, empereur byzantin, prise d'un manuscrit inconnu (L. I. 87)26, des fragments de la Novelle CXXXII (L. I. 88) et de la Novelle VI de Jus-tinien I (L. I. 89), prise du recueil Authenticum21.
Néanmoins la plupart des textes, réunis dans le premier livre de la «Collection» d'Anselme de Lucques, représentent des fragments des «Fausses Décrétales». Comme l'ont montré K. Zechiel-Eckes et K. G. Schon, Anselme pouvait utiliser le codex manuscrit de la Bibliothèque du Chapitre de Lucques — Codex Felinianus 123 (Plut. II) Bibliothe-cae Capitularis Luccensis, en qualité de «Handexemplar»28. Ces textes sont
25 Gaudemet, J. L'ordre du monde, vu par un canoniste à la fin du XI siècle (Anselme de Lucques, Collectio canonum, L. I. Ch. 71 à 89), in: Persona y derecho 25. 1991. P. 59-71.
26 O. Guenther affirmait qu'il n' y aurait pas de possibilité de connaître le codex, devenu une base pour le récuperage de cette lettre de Jean II, faite par Anselme. A priori cette lettre se trouvait dans le Code de Justinien (CJ. I, 1, 8) ainsi que dans la Collection Avellana: Epistulae Imperatorum Pontificum aliorum inde ab a. CCCLXVII usque ad a. DLIII datae: Avellana quae dicitur collection / Hrsg. von O. Guenther. Corpus scriptorium ecclesiasticorum Latinorum. Vol. 35/1. Vindobonae/Pragae/ Lipsiae, 1895. P. LXXIIII—LXXV.
27 Szuromi, S. A. Anselm of Lucca as a canonist. P. 107.
28 K. Zechiel-Eckes et K. G. Schon ont écrit: «Lucca, Bibl. Cap. Feliniana 123 (Plut. II), s. IX 4/4 n. Auf die Handschrift der Klasse A2 in der Form, die Hinschius seiner Edition mit zugrunde gelegt hat, hat eine Handschrift der Cluny-Version eingewirkt. Der Text scheint zwar vorzüglich zu sein, doch wird zu prüfen sein, inwiefern diese
devenus une base pour manifester la monarchie ecclésiastique à l'époque de la lutte pour l'investiture.
Les rubriques de la «collection» d'Anselme reflètent sa pensée personelle29
Pour argumenter les points principaux de son idéologie, Anselme de Lucques cite des œuvres historiques, en rappelant les épisodes précédents, rappel devenu nécessaire pour justifier la doctrine de la monarchie ecclésiastique du pape. Ces épisodes, récupérés de l' «Histoire» d'Anas-tase le Bibliothécaire et exposés dans la «Chronographie» du grand historien byzantin, Théophane le Confesseur, témoignaient de l'imperfection du pouvoir impérial en comparaison avec l'autorité épiscopale. En outre Anselme cite le «Liber Pontificalis» et les autres sources sans suivre l'ordre chronologique.
Anselme s'appuie sur les précédents historiques: le pape Libère a défendu la foi orthodoxe devant l'empereur Constance, dont le devoir impérial, confié par le Seigneur, ne lui donnait aucune possibilité de s'ingérer dans les affaires spirituelles30. Le pape Jean a demandé à l'empereur Justinien de maintenir la foi orthodoxe et catholique devant les apostats et les juifs; finalement Justinien a publié la profession de foi orthodoxe, sanctionnée par la loi impériale, et a proclamé le mode de coexistence du sacerdoce et de l'empire. Anselme cite le fragment de la 6e Novelle de Justinien, devenu le manifeste des rapports entre l'Église et l'État dans l'Empire romain d'Orient pendant toute son histoire. Le principe de la «symphonie» des pouvoirs, traduite en latin comme la «consonantia bona» dans le recueil de l' «Authenticum», a été interprété par Anselme comme le témoignage de l'obéissance du pouvoir civil à l'autorité du pape de Rome. C'est pourquoi il l'a considéré dans le cadre des autres précédents historiques, y compris parmi les arguments pour souligner la supériorité de l'autorité pontificale sur le pouvoir impérial. Le pape
Textqualität auf die Einwirkungen der Cluny-Version zurückzuführen ist».
29 Vacca, S. Prima sedes a nemine iudicatur: genesi e sviluppo storico dell'assioma fino al Decreto di Graziano. Miscellanea Historiae Pontificiae 61. Roma, 1993. P. 194-203; «Ut prima sedes a nullo iudicetur»; «Quod in nouo testamento post Christum dominum a Petro sacerdotalis coeperit ordo»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 3.
30 «Quod imperatoribus fas non est curiose de spiritualibus negotiis agere»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 50.
Grégoire II a démis de la royauté l'empereur Léon III à cause de son impiété. Le pape Étienne a fait de Pépin le roi des Francs, serviteur obéissant de l'Église de Rome. Le pape Hadrien a provoqué l'invasion de Charlemagne en Italie pour détrôner Didier, le roi des Lombards. Charlemagne a donné des châteaux, des manoirs, des cités et des régions nombreuses au pape Hadrien pour faire honneur à l'Église de saint Pierre. Le pape Hadrien a refusé d'envoyer ses légats à Constantinople pour participer au concile œcuménique, sans les garanties promises par l'impératrice Irène. Le pape Jean VIII a élu et confirmé l'empereur Charles le Chauve, le petitfils de Charlemagne. L'empereur Otton Ier a prêté le serment au pape Jean, en promettant la protection et la défense de l'Église de saint Pierre. Donc l'empereur, le souverain de tous les princes sur la terre, n'est que le fils obéissant et le serviteur humble du pape de Rome, le vicaire de saint Pierre, dans la pensée d'Anselme de Lucques.
En composant le premier livre de la «Collection», Anselme a-t-il ajouté quelque chose aux fragments des Pères de l'Église? Il faut répondre: oui. Par exemple la version «Bb» (Vat. Lat. Barberini 535, Paris BNF 12450) présente des interpolations, mises dans le texte du livre «De catholicae ecclesiae unitate» de saint Cyprien. Ces interpolations soulignent une idée de la primauté de Pierre31. Les manuscrits de la version «Bb» contiennent
31 Nous avons marqué les interpolations, en suivant le texte constitué par J. Hartel et Fr. Thaner: «Quod super unum id est Petrum aedificauit Dominus ecclesiam suam. Ex epistola sancti Cipriani. Loquitur Dominus ad Petrum: «Ego dico tibi quia tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam». Super unum aedificat ecclesiam et illi pascendas oues mandat quamuis <ab> apostolis omnibus post resurrectionem suam parem potestatem tribuat et dicat: «Sicut misit me pater et ego mitto uos accipite Spi-ritum sanctum» tamen ut unitatem manifestaret unam cathedram constituit et unitatis eiusdem originem ab uno incipientem sua auctoritate disposuit. Hoc erant utique et ce-teri apostoli quod Petrus fuit pari consortio prediti et honoris et potestatis sed exordium ab unitate proficiscitur et primatus Petro datur ut una ecclesia Christi et cathedra una monstretur et pastores sunt omnes et grex unus ostenditur qui ab apostolis omnibus unanimi consensione pascatur. Quam unam ecclesiam etiam et in Cantico canticorum Spiritus sanctus ex persona Domini designat et dicit: «Vna est columba mea perfecta mea una est matri suae electa genitrici suae». Hanc ecclesiae unitatem et beatus apos-tolus Paulus docet et sacramentum unitatis ostendit dicens: «Vnum corpus et unus spiritus una spes uocationis uestrae unus Dominus una fides unum baptisma unus Deus». Quam unitatem tenere firmiter et uendicare debemus maxime nos episcopi qui in eccle-sia presidemus ut episcopatum quoque ipsum unum atque indiuisum probemus. Nemo fraternitatem mendacio fallat nemo fidei ueritatem perfida preuaricatione corrumpat».
aussi un autre fragment, inscrit chez saint Cyprien, qui avait proclamé la même idée32.
La doctrine théologique de la primauté du pape légitime, défendue par Anselme, était justifiée par d'autres fragments des Pères de l'Église ainsi que des pontifes romains33. Les tables des sources utilisées par Anselme de Lucques, composées par K. Cushing manifestent sa base d'une manière représentative34. En même temps il est probable que les continuateurs d'Anselme essayent parfois d'équilibrer sa pensée exaltée et son idéologie grégorienne. En particulier le manuscrit principal de la version «A» — Vat. Lat. 1363 contient une note marginale qui dit : «Il faut que celui qui préside sur les autres agisse à la manière du médicin, et ne doit pas se laisser emporter par la fureur de la bête sauvage»35 (I, 3). L'auteur de cette petite inscription a-t-il voulu faire des reproches à l'antipape Clemente III par cette comparaison méprisante, ou a-t-il introduit dans le texte de la Collection «grégorienne» une accusation cachée au pape Grégoire VII qui avait invité les Normands pour piller et ravager Rome à l'époque de la composition de la version «A» (1083-1086)? Si nous supposions que c'est Anselme de Lucques qui est l'auteur de la note marginale répétée dans le codex Vat. Lat. 1363, il faudrait confirmer la première possibilité. Mais à notre avis c'est un scripteur inconnu qui a redigé la version «A» au début du XIIe siecle et a ajouté la note marginale. Dès lors la deuxième possibilité est plus probable.
Une autre note marginale trouvée dans le codex Vat. Lat. 1363 parle du rôle principal de saint Pierre et du role auxiliaire de saint Paul dans l'Église sur la terre. Comme l'a dit un rédacteur inconnu, «les noms
32 «Quod una est ecclesia et unus papa sicut Deus unus est et Christus unus. Cypria-nus. Deus unus est et una ecclesia et cathedra una super Petrum Domini uoce fundata. Aliud altare constitui aut sacerdotium nouum fieri praeter unum altare et unum sacerdotium non potest. Quisquis alibi collegerit spargit: adulterium est impium est sacrilegium est quodcumque humano furore instituitur ut dispositio diuina uioletur. Item Inde schismata et haereses aborta sunt et oriuntur dum episcopus qui unus est et ecclesia preest superbia quorundam praesumptione contemnitur».
33 Szuromi, S. A. Anselm of Lucca as a canonist. P. 93-101.
34 Cushing, K. Papacy and Law in the Gregorian Revolution. P. 203-209.
35 «Ipsum autem qui preest ceteris oportet medici vicem agere et non ferae bestiae furore commoueri»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collec-tione minore. P. 8.
les meilleurs des apôtres: une pierre et un vaisseau sont nécessaires pour la maison du Sauveur. La maison se construit par la pierre du courage et elle est ornée par l'utilité du vase. La pierre soutient la stabilité du peuple pour qu'il ne tombe pas, le vase fait la protection des chrétiens pour qu'ils ne soient pas méprisés ou tentés» (I, 69)36. Il est probable que cette inscription marginale exprimait la logique de la pensée de l'école canonique developpée après la mort d'Anselme. Cette logique équilibrait dans une certaine mesure l'idée de la domination de saint Pierre et de son successeur par l'image de saint — Paul.
Quoi qu'il en soit, comme ont dit justement P. Fournier et G. Le Bras, le premier livre de la «Collection canonique» d'Anselme de Lucques «traitait de la primauté de l'Église de Rome, dont l'autorité souveraine s'étend sur toute l'Église, s'imposant aux empereurs et aux rois»37.
Anselme de Lucques et le droit canonique ancien
Il est évident que des idées principales pour l'évolution de l'ecclé-siologie de l'Église ancienne se trouvent dans les épitres de saint Ignace d'Antioche (fin du Ier siècle). C'est lui qui a écrit: «Qu'aucune personne ne fasse rien sans l'évêque dans les affaires qui concernent l'Église. L'eucharistie valide est celle-là qui est célébrée par l'évêque ou par celui auquel l'évêque a délégué son pouvoir. Là où se trouve un évêque, il y a une communauté des fidèles, comme là aussi où se trouve le Christ Jésus, il y a l'Église catholique»38. Le principe de l'ecclésiologie eucharistique a constitué l'existence de l'Église universelle depuis l'époque du christianisme primitif. La hiérarchie épiscopale, fondée sur la succession apostolique, se trouvait à la tête des communautés eucharistiques, parmi lesquelles les Églises fondées immédiatement par les apôtres avaient une sorte d'autorité spirituelle, non juridique (Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem). C'est saint Clément de Rome qui disait que l'Église de Rome
36 «Optima apostolorum nomina: petra et uasculum necessaria domui Saluatoris. Domus enim fortitudinis petra construitur utilitate uasis ornatur. Petra ad firmitatem populos ne labantur sustentat uas ad custodiam <ne contemnatur uel tentetur> ope-rit Christianos»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 37.
37 Fournier, P., Le Bras, G. Histoire des collections canoniques en occident depuis les Fausses Décrétales jusqu'au Décret de Gratien. T. II. Paris, 1932. P. 28.
38 Patrologia Graeca. Vol. 5. Coll. 713.
préside «dans l'amour» parmi les autres Églises locales39, mais en même temps la plénitude de l'existence ecclésiale, c'est-à-dire l'unité accomplie des fidèles avec le Christ — le chef de l'Église catholique — ainsi que l'unité des uns avec les autres, est réalisée et démontrée chaque fois pendant la liturgie eucharistique, célébrée dans chaque communauté chrétienne par l'évêque, ou un peu plus tard par le prêtre en qualité de délégué de l'évêque. La communication eucharistique, existant entre les communautés chrétiennes, était le seul moyen d'expression de l'unité essentielle de l'Église catholique jusqu'au concile de Nicée (325), qui a proclamé le principe du territoire canonique, réunissant les communautés chrétiennes épiscopales (les diocèses) et gouverné par le synode des évêques avec le métropolite en tête.
L'accroissement de l'autorité de l'évêque de Rome en Occident depuis le concile de Sardique (343)40 et l'activité législative des papes Sirice et Innocent Ier ont provoqué l'édition du «Décret Gélasien», dans lequel fut proclamée l'idée du primat de l'Église de Rome, sanctionné par le mandat du Christ donné à saint Pierre, non par certaines décisions conciliaires41. Ce texte cité par Anselme de Lucques (L. I. 69) selon la version des «Fausses Décrétales» ne fut d'abord pas accepté par toutes les Églises latines42. Particulièrement, l'Église de Carthage
39 Les Pères Apostoliques, Vol. II. Clement de Rome / Ed. H. Hemmer. Paris, 1909. P. 130.
40 Le concile de Sardique en 343 a affirmé les droits de l'évêque de Rome d'être le juge arbitral dans chaque litige se produisant dans les Églises locales.
41 Decretum Gelasianum, in: Patrologia Latina. Vol. 59. Coll. 157-183.
42 Nous citons ici en latin le texte authentique du document, devenu principal pour Anselme de Lucques, en suivant la tradition manuscrite de la «Collection Quesneliana» (les codex d'Arras 644, d'Einsiedeln 191 et de Paris BNF 1454): «Sciendum est sane <ab> omnibus catholicis quoniam sancta ecclesia Romana nullis synodicis decretis praelata est, sed euangelica uoce Domini et Saluatoris nostri <Iesu Christi> primatum obtinuit, ubi dixit beato apostolo Petro: Tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam, et portae inferi non praeualebunt aduersus eam; et tibi dabo claues regni coe-lorum: et quaecumque ligaueris super terram, erunt ligata et in coelis; et quaecumque solueris super terram, erunt soluta et in coelis. Adhibita est etiam societas in eadem urbe Romana beatissimi apostoli Pauli, uasis electionis; qui uno die unoque tempore, gloriosa morte cum Petro sub principe Nerone agonizans coronatus est. Ambo ergo partier sanctam ecclesiam Romanam Christo Domino consecrarunt, aliisque omnibus urbibus in uniuerso mundo sua praesentia atque uenerando triumph praetulerunt. Et licet pro omnibus assi-dua apud Dominum omnium sanctorum fundatur oratio, his tamen uerbis Paulus beatissi-mus apostolus romanis proprio chyrographo pollicetur dicens: Testis enim mihi est Deus, cui seruio in spiritu meo, in Euangelio Filii eius, quod sine intermissione memoriam
a refusé les prétentions du pape d'exercer le droit d'examiner les affaires intérieures des Églises africaines. Par exemple, le concile de Carthage en 418 a interdit aux clercs africains d'appeler les Églises «transmarines» pour examiner les litiges africains (Vt nullus ad transmarinia audeat appellare). Le concile de Carthage en 424 a proclamé d'une manière non équivoque l'interdiction aux clercs africains d'en appeler à l'Église de Rome (Vt nullus ad romanam ecclesiam audeat appellare). D'après les recherches de Ch. Munier, il est bien connu que le canon 17 du concile de Carthage de 424 a été conservé dans le codex du Vatican Palatin 574 (Fol. 118v-119r), mais il n'a pas été publié jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle (1966)43. Les nombreux éditeurs des actes conciliaires de la première modernité, parmi lesquels: J. Merlin, P. Crabbe, L. Surius, S. Binius, J. Sirmond, Ph. Labbé, G. Cossart J. Hardouin et N. Coletti, ne pouvaient pas admettre ce texte anti-romain, tellement utile pour les polémistes protestants (tels que David Blondel), dans la collection publiée des conciles de l'Église latine. Le canon anti-romain découvert par
uestri facio semper in orationibus meis. Prima ergo sedes est coelesti beneficio Romana ecclesia, quam beatissimi apostoli Petrus atque Paulus suo martyrio dedicarunt. Secunda autem sedes apud Alexandriam beati Petri nomine a Marco eius discipulo atque euangelista consecrata <est> quia ipse et in Aegypto primus uerbum ueritatis a Petro directus praedicauit, et gloriosum suscepit martyrium, cui uenerabilis successit Abilius. Tertia <uero> sedes apud Antiochiam, idem beati Petri apostoli habetur honorabilis; quia illic priusquam Romam ueniret habitauit et Ignatium episcopum constituit; et illic primum nomen christianorum nouellae gentis exortum est. Nam et Ierosolymitanus episcopus pro tanti loci reuerentia ab omnibus habetur honorabilis; maxime quoniam illic primus beatissimus Iacobus qui dicebatur Iustus qui etiam secundum carnem frater Domini nuncupatus est a Petro, Iacobo et Ioanne apostolis episcopus est ordinatus. Itaque secundum antiquorum patrum definitionem sedes prima Ierosolymis minime dicitur: ne forte ab infidelibus aut idiotis sedes Domini nostri Iesu Christi quae in coelo est in terra esse putaretur. Est enim sedes eius coelum, terra autem scabellum pedum eius <est>. Quoniam ipse est per quem omnia facta sunt et sine quo factum est nihil: Quoniam ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia; ipsi gloria in saecula saeculorum. Apud Ephesum uero beatissimus Ioannes apostolus et euangelista multo tempore post resurrectionem et ascensionem in coelos Domini nostril Iesu Christi commoratus est; ibique etiam euangelium quod secundum Ioannem dicitur diuina inspiratione conscrip-sit atque requieuit; et ob hoc episcopus Ephesius pro tanta apostoli et euangelistae memoria prae coeteris episcopis metropolitanis in synodis honorabiliorem obtinet sedem». 43 Munier, Ch. Un canon inedit du XXe Concile de Carthage: «Vt nullus ad romanam ecclesiam audeat appellare», in: Munier, Ch. Vie conciliaire et collections canoniques en Occident, IV-XII' siecles. London, 1987. P. 113-126.
Ch. Munier, a-t-il provoqué une certaine réaction scientifique ou confessionnelle après 1966 ? L'analyse des publications récentes liées au canon découvert nous montre le changement profond de l'attitude des chercheurs dans la problématique examinée. Presque tous les auteurs intéressés par le travail de Ch. Munier n'ont parlé que du contexte local africain dans lequel le canon mentionné avait été produit, sans aucune allusion dogmatique dans le cadre de la polémique confessionnelle actuelle 44.
Le contexte africain nous montre, que malgré la protestation des évêques de Carthage, les conciles africains durent adopter certaines décisions prises à Rome pour résoudre les situations difficiles du point de vue des canons qui se rencontraient en Afrique du Nord. Particulièrement le concile de Carthage de 419 a adopté le canon du concile de Capoue, convoqué en 393 par l'ordre du pape Sirice45. Ce concile, sous la présidence de saint Ambroise de Milan, interdit la pratique africaine de réordonner et de rebaptiser les schismatiques et les pécheurs46. Nonobstant la position des Églises gauloises et espagnoles, fidèles à l'autorité du pape aux IVe-Ve siècles (Himerius de Tarragone, Victrice de Rouen), l'évêque de Rome n'a pas pu régler, dans les Églises espagnoles et gauloises, la crise provoquée par l'hérésie de Priscillien47. Finalement Priscillien a été condamné par les décisions des conciles de Saragosse (380), de Bordeaux (386) et assassiné par l'ordre de l'usurpateur Maxime. Le concile de Turin (398), convoqué sous la présidence de Simplicien,
44 Faivre, A. Naissance d'une Hiérarchie. Les premières étapes du cursus clérical. Paris, 1977. P. 210; Melloni, A. Facteurs involutifs et lignes de développement dans l'historiographie relative au christianisme africain, in: Eglise et l'histoire de l'Eglise en Afrique. Actes du colloque de Bologne 22-25 octobre 1988 / Ed. G. Ruggieri. Paris, 1988. P. 294; Munier, Ch. L'Influence de saint Augustin sur la législation, in: Augustinus Afer. Saint Augustin, Africanité et Universalité, Actes du colloque international Alger-Annaba, 1-7 avril2001 / Ed. P. Y. Fux, J. M. Roessli, O. Wermelinger. Freiburg, 2003. P. 112; Lancel, S. St. Augustine. London, 2002. P. 358.
45 Pietri, Ch. Roma Christiana. Recherches sur l'Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440). T. I-II. Roma, 1976. P. 900; Sancti Ambrosii Opera / Ed. M. Zelzer. Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum. Vol. 82/3. T. III. Epistolarum libri X. Vienna, 1982. P. 3-10.
46 «Illud autem suggerimus mandatum nobis quod etiam in Capuensi plenaria sy-nodo uidetur statutum quod non liceat fieri rebaptizationes et reordinationes uel translationes episcoporum»: Le Codex canonum ecclesiae africanae, in: Patrologia Latina. Vol. 130. Coll. 335.
47 Babut, E. Ch. Priscillien et le priscillianisme. Paris, 1909. P. 251-252.
évêque de Milan, a ignoré l'opinion du pape48. Il est devenu en quelque sorte le premier manifeste historique du gallicanisme49. C'est le pape Léon le Grand qui a pu neutraliser ce manifeste et défendre l'autorité spirituelle du trône de saint Pierre, acceptée par le concile de Milan en 451.
Il est évident qu'Anselme de Lucques ne connaissait rien de l'histoire de la formation de l'ecclésiologie romaine, en acceptant les «Fausses Décré-tales» comme la source vraie et authentique de la tradition de l'Église primitive. D'ailleurs il n'était pas le seul: Théodore Balsamon — le grand cano-niste byzantin, né quelques années après la mort d'Anselme, devenu le partisan fidèle de l'hégémonie du patriarcat œcuménique de Constantinople, suite à l'interprétation byzantine et impériale du 28e canon du concile de Chalcédoine, donnée par la princesse Anne Comnène50 — considérait la «donation de Constantin» comme un document authentique dans ses commentaires sur le «Nomokanon» en XIV titres. Comme l'a montré A. Pavloff, ce document faux a été apporté à Constantinople avec la lettre du pape Léon IX en 1053. Pendant le schisme de 1054, il a été traduit en grec et interprété d'une manière extraordinaire: si l'Ancienne Rome abandonne la foi orthodoxe, c'est le patriarche de Constantinople qui devient le successeur de la donation impériale, accordée par le fondateur de la Nouvelle Rome au chef visible de l'Église catholique sur la terre51.
conclusion: Anselme de Lucques, le droit et la liturgie
Le rite liturgique de l'Église de Rome nous montre des coutumes différentes de la situation décrite dans la «Collection canonique» d'Anselme de Lucques. Bien que le pape Grégoire VII ait été élu par le peuple romain, la prérogative de l'élection pontificale a été réservée au collège des cardinaux
48 Concilia Galliae 314—506 / Ed. Ch. Munier. Corpus Christianorum series latina. Vol. 148. Turnhout, 1963. P. 54-58.
49 Babut, E. Ch. Le Concile de Turin: essai sur l'histoire des Églises provincales au Vme siècle et sur les origines de la monarchie ecclésiastique romaine. Paris, 1904. P. 100-102.
50 Anne Comnène. Alexiade / Ed. par B. Leib. T. I-II. Paris, 1967. P. 47-48.
51 Нарбеков, B. A. Номоканон Константинопольского патриарха Фотия с толкованием Вальсамона. Ч. 2. Казань, 1899. С. 219-249; Павлов, А. С. Подложная дарственная грамота Константина Великого папе Сильвестру, В кн.: Византийский временник. Т. III. Вып. 1. СПб., 1896. С. 18-82; Mitroviets, Ts. Nomokanon der sla-vischen morgenländischen Kirche, oder die Kormtschaja Kniga. Wien/Leipzig, 1898. P. II; Дагрон, Ж. Император и священник. Этюд о византийском «цезарепапиз-ме» / Под. ред. А. Е. Мусина, И. П. Медведева. СПб., 2010. С. 302-309.
par le concile de Latran en 1059. La procédure de la postulation des prêtres et des diacres à Rome, limitée par la confirmation du pape, a été donnée aux chapitres des chanoines de la même manière. Malgré les vestiges de la procédure élective des clercs romains, conservés dans les fragments de l' «Ordo Romanus IX» et des «Statuta ecclesiae antiqua», récupérés par Anselme (L. VII. 43, 44, 46-52)52, la situation contemporaine au compilateur de la Collection et aux canonistes devenus ses continuateurs, démontrait la victoire des principes de la réforme grégorienne. Les continuateurs d'Anselme de Lucques ont proclamé que les clercs romains dépendent du Siège Apostolique53. En même temps la discipline liturgique, existant dans l'Église de Rome aux VIIe-VIIIe siècles (en 650, d'après J. Deshusses)54, conservait les éléments de la procédure élective, observée pour élire les clercs, accordée au peuple romain. Comme l'a montré A. Chavasse, les libelli des messes, probablement composés dans les Églises du Latium et de la Campanie, dépendantes de Rome, ont été réunis dans le sacramentaire créé pour les prêtres des titres romains ainsi que pour les paroisses extra muros et appelé dans la tradition historique celui «gélasien»55. Le sacramentaire gélasien vetus nous montre la procédure d'élection des clercs romains par le peuple chrétien56, approuvée entre autres par la Novelle 123 de l'empereur Justinien Ier. La liturgie était une source importante pour Anselme de Lucques dans le cadre du récuperage des canons anciens.
Information on the article
Mitrofanov, A. Yu. Anselme de Lucques, la liturgie et le droit canonique de l'Église ancienne, in: Proslogion: Studies in MedievalandEarly Modern SocialHistory and Culture, 2018. Vol. 4 (2). P. 50-70.
52 Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 381-385.
53 Les versions «Bb», «C» et «A» proposent: «De conuersione clericorum ut in uno conclaui sunt», «Quod adolescentes in clero positi probatissimo seniori deputen-tur», «de communi uita clericorum»: Anselmi Episcopi Lucensis Collectio canonum una cum collectione minore. P. 362.
54 Le Sacramentaire Grégorien: ses principales formes d'après les plus anciens manuscrits / Ed. par J. Deshusses. Fribourg, 1971. P. 51.
55 Chavasse, A. Le Sacramentaire Gélasien. Vaticanus Reginensis 316. Bibliothèque de Théologie, série IV: Histoire de la Théologie. Vol. I. Paris, 1958. P. 74-177.
56 Liber Sacramentorum Romanae ecclesiae ordinis anni circuli: Sacramentarium Gelasianum / Ed. L. Mohlberg. Roma, 1960. P. 24-26.
Audrey Yur'evich Mitrofanov, doctor of History, Art and Archeology of the Catholic University of Leuvain, professor, St. Petersburg Theological Academy (191167, Rossiya, Sankt-Petersburg, Obvodnyy kanal, 17)
non-recuso-laborem@yandex.ru
The article tells about the doctrine of Anselm of Lucca during the struggle for investment. Anselm was an ally of Pope Gregory VII, who fought for the right to invest against Holy Roman Emperor Henry IV. For the success of this struggle Anselm made a Collection of canons, in which he used numerous collections of canons of late antiquity and the early Middle Ages, for example, Quesnelliana, Avellana, Pseudoisidoriana. Monuments of the ancient Liturgy of the Roman Church also found their place in the collection and influenced the language of Anselm and its system of images. The doctrine of the papal theocracy, which was defended by Anselm, made inevitable the conflict of his teachings with Byzantine eccle-siology, the basic principles of which were formulated in the early 12th century by Princess Anna Komnene.
Key words: Anselme de Lucques, La querelle des Investitures, Anna Komnene, Collection canonique, Nomocanon, la Quesnelliana, la Avellana
Информация о статье
Mitrofanov, A. Yu. Anselme de Lucques, la liturgie et le droit canonique de l'Église ancienne, В кн.: Proslogion: Проблемы социальной истории и культуры Средних веков и раннего Нового времени. 2018. Вып. 4 (2). С. 50-70.
Андрей Юрьевич Митрофанов, доктор истории, археологии и искусства Лёвенского католического университета, профессор Санкт-Петербургской духовной академии (191167, Россия, Санкт-Петербург, Обводный канал, 17)
non-recuso-laborem@yandex.ru
УДК 27
Статья рассказывает о доктрине Ансельма Луккского в период борьбы за инвеституру. Ансельм был соратником папы Григория VII, который боролся за право инвеституры против императора Священной Римской империи Генриха IV. Для успеха этой борьбы Ансельм составил Коллекцию канонов, в которой он использовал многочисленные сборники канонов поздней античности и раннего Средневековья, например Quesnelliana, Avellana, Pseudoisidoriana. Памятники древней литургии Римской церкви также нашли свое место в сборнике и оказали влияние на язык Ансельма и его систему образов. Доктрина папской теократии, которую защищал Ансельм, делала неизбежным конфликт его учения с византийской экклезиологией, основные принципы которой были сформулированы в начале XII века принцессой Анной Комниной.
Ключевые слова: Ансельм Луккский, борьба за инвеституру, Анна Комнина, Коллекция канонов, Номоканон, Квеснеллиана, Авеллана
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