УДК 141
Ю. Венсан (Руанский университет)
Тел.: (4872) 35-74-37; e-mail: phileo@tspu.tula.ru
ВЕДУЩИЕ ТЕНДЕНЦИИ В СОВРЕМЕННОЙ ФРАНЦУЗСКОЙ ФИЛОСОФИИ
В статье рассматриваются тенденции развития современной французской философии. Показано большое значение наследия Р. Декарта и И. Канта для философских исследований. Особое внимание уделяется основным признакам философии различия, выделены характерные черты мировоззрения ряда французских авторов, приведены примеры влияния философского течения на все гуманитарные сферы: искусство, педагогику, социальные науки, политическую практику. В заключение приводятся педагогические аспекты обучения в современных французских вузах.
Ключевые слова: Французская философия, направления французской философии, философия различия, Ж. Деррида, Ж. Делез, М.Монтень.
1 - Tableau de la philosophie française aujourd'hui.
2 - Essai de situer mes propres travaux dans ce tableau.
1 Tableau de la philosophie française aujourd'hui.
1-1 Pour une première part, il y a une tradition d'histoire de la philosophie.
Faire de la philosophie en France aujourd'hui c'est nécessairement connaître, étudier, parfois très longuement, des textes de philosophie. C'est l'aspect académique du paysage, au sens de passages obligés, tant dans la méthode que dans ses objets si l'on veut devenir philosophe.
- Elle est faite principalement de l'étude des «grands auteurs» de la tradition philosophique. Toujours un peu les mêmes (Platon, Aristote, parfois les stoïciens; Descartes, Rousseau, Leibniz, Spinoza, Malebranche, Hume; Kant, Hegel, Conte, Husserl). Assez peu de français; importance de la philo allemande. Quelques variations selon les tendances des époques; constance de Kant toujours ! !
- Cette tradition a son objet: l'exposé des doctrines dans leur systématicité. Elle a aussi ses méthodes qui se sont construites autour de quelques grands professeurs et de grands modèles. Les travaux de Alquié puis Guéroult sur Descartes et Spinoza. Ceux de Goldschmidt sur Platon et Rousseau. Ceux de B Bourgeois pour Hegel, d'Aubenque pour Aristote, etc. Ce qui domine ici c'est une approche systématique des œuvres, un effort pour reconstituer les doctrines et les systèmes.
- Elle se maintient par le lien de l'université française à la préparation des concours de recrutement du secondaire (capes et agrégation).
Elle a pour exercices principaux, le commentaire et la dissertation. (Pas vraiment l'essai).
Cette tradition occupe moins de place aujourd'hui dans le travail philosophique.
Le modèle de lecture systématique, centré sur la doctrine et le projet de la restituer dans sa cohérence interne s'estompe un peu; plus grande attention à des
courants de pensée, plus qu'aux œuvres mêmes; une plus grande attention aux contextes historiques.
Si je veux dire ce qu'elle a formé en moi, je dirai la chose suivante: pas simplement le respect de grandes œuvres (ce qui est au fond dangereux: on n'a plus d'égard pour les petites !), pas simplement non plus la connaissance de ces doctrines, mais plutôt un gout de la démonstration, de «l'argumentation»: force d'une image ou d'une analogie; solidité d'une argumentation ou d'une construction; fécondité critique d'un concept; pertinences et forces critiques de ces images, analogies construction, concepts par rapport à tel problème contemporain. Un goût non de la doctrine, ni non plus tout à fait de la lettre même, mais plutôt de l'inventivité démonstrative et de la construction. Goût de la lettre en ce sens, beaucoup plus que le goût de la parole (il me semble, à titre d'hypothèse, que ce point peut faire une différence avec la tradition russe; mais ce n'est qu'une hypothèse).
1-2 Pour une seconde part, ce tableau est fait de ce que l'on peut globalement appeler les «philosophies de la différence». Qu'est-ce qui est désigné par là?
- Les noms: Foucault, Derrida, Deleuze, Lyotard, Badiou et Rancière. Et
Serres.
- Il y a des liens avec le premier point: tous ces auteurs ont été des commentateurs d'œuvre. Tous ont eu des lectures originales de leur prédcesseur, mais tous (ou quasi) ont surtout voulu modifier les méthodes de lecture. Ils montraient ainsi que lire, écrire ou travailler autrement c'était penser autrement. (En particulier Foucault, Derrida, Deleuze). Ouverture extraordinaire des styles philosophiques. Fin ou du moins relativisation d'un style classique. Eclatement des styles difficile à gérer par les étudiants ou le successeurs: faut-il revenir au style classique ? Faut-il inventer son propre style à chaque fois?
- On peut dire que tous ces auteurs ont fait œuvre: ils sont les auteurs d'œuvres originales, importantes, pour certains recouvrant les objets habituels de la philo (ontologie, une théorie de la connaissance, une morale, une esthétique). Mais aucun n'a fait ou voulu faire un système. Pour tous, c'est plutôt une grande diversité d'objets, abordées chaque fois pour eux mêmes, sans forcément souci d'une cohérence systématique.
- Œuvres très impressionnantes, souvent aussi très difficiles. Ce qui frappe c'est le grand nombre de ces oeuvres en un temps assez court. Il y eut là un moment exceptionnel. Badiou n'hésite pas à le comparer au moment de l'idéalisme allemand.
- Il faut mentionner que ce moment philosophique n'est pas détachable, de l'émergence dans les années 1960 d'avancées tout à fait extraordinaires dans les sc humaines et en particulier ce que l'on nomme structuralisme. Des profondes évolutions de l'histoire, de la linguistique, de l'anthropologie, des études littéraires, de la sociologie, de la psychanalyse. Bien sûr et dans bien des cas ces évolutions ne provenaient pas seulement de savants français (et pour la linguistique comme pour les études littéraires, l'apport soviétique ou des «pays de l'est» fut essentiel, sans compter la psychologie et le théâtre) mais quelque chose se cristallisa, en France, avec ce nom de structuralisme. Saussure, et bien sûr Jakobson, Lévi Strauss, Lacan, Dumézil, Barthes, Genette, Bourdieu et de très nombreux autres.
A des titres différents ces philosophes n'ont été possible que sur le fond de ces révolutions dans les sc hum, tant dans leurs objets que dans leur méthode. Le lien est certes complexe, et bien souvent ces philosophes analysèrent et critiquèrent les concepts majeurs de ces sc hum. Mais quelque soit la relation on ne peut les désolidariser de ce mouvement. Et si j'insiste sur ce point, c'est aussi par ce que il y a là un nouveau (ou plutôt la reprise d'un ancien) legs: il est je crois difficile pour nous de faire de la philo sans un dialogue permanent avec les sc humaines (pas seulement les mathématiques ou la physique).
- Peut-on caractériser même sommairement ce moment? Je reprendrai ici les traits essentiels tels que les a exposés Alain Badiou.
«Premièrement, ne plus opposer le concept à l'existence, en finir avec cette séparation. Montrer que le concept est vivant, qu'il est une création, un processus et
un événement et qu'à ce titre il n'est pas séparé de l'existence.
Deuxième point, inscrire la philosophie dans la modernité, ce qui veut dire aussi la sortir de l'académie, la faire circuler dans la vie. La modernité sexuelle,
artistique, sociale, il faut que la philosophie soit mélangée à tout cela.
Troisième point du programme, abandonner l'opposition entre philosophie de la connaissance et philosophie de l'action. Cette grande séparation qui était chez Kant, par exemple, entre raison théorique et raison pratique; abandonner cette séparation donc et montrer que la connaissance est elle-même une pratique, que
même la connaissance scientifique est en réalité une pratique.
Quatrième point, situer directement la philosophie sur la scène politique sans passer par le détour de la philosophie politique, inscrire frontalement la philosophie sur la scène politique. Tous ont voulu inventer ce que j'appellerais le militant philosophique, et faire de la philosophie une pratique militante, dans sa présence, dans son mode d'être. Non pas simplement une réflexion sur la politique, mais
réellement une intervention politique (Ce qui n'empêchait pas F par ailleurs ...).
Cinquième point, reprendre la question du sujet, abandonner le modèle réflexif et donc, discuter avec la psychanalyse, rivaliser avec elle et faire aussi bien
qu'elle, sinon mieux qu'elle.
Enfin sixième point, créer un style philosophique, un nouveau style de l'exposition philosophique et donc, rivaliser avec la littérature. Au fond, inventer une deuxième fois, après le XVIIIème siècle, l'écrivain philosophe, le recréer».
Vous voyez ainsi qu'il y a là un héritage très puissant, dans lequel pour ma part j'essaie de m'inscrire, car ce sont pour partie ces auteurs qui m'ont formé et ont toujours rendu vif mon goût de la philosophie.
Il faudrait que je puisse maintenant vous en présenter quelques aspects, mais ce ne peut être mon objet dans cette conférence, cela nous mènerait trop loin.
Dans mon travail institutionnel actuel il donne lieu à deux choses:
- une série de colloques ayant pour thème commun la question suivante: héritages et perspectives en éducation et formation de ... » Pour l'instant Foucault, Ricoeur; Deleuze à venir l'an prochain - un réseau de collègues, philosophes de
l'éducation, susceptibles d'accueillir des étudiants étrangers souhaitant travailler sur cette philosophie contemporaine française et dans ses implications avec le questions d'éducation et de formation.
1-3 Aujourd'hui, il semble que ce paysage change et notre présent n'est plus dominé par ces dernières œuvres, pas plus qu'il n'est dominé par l'étude des systèmes. Divers autres courants s'imposent et l'opposition entre des penseurs non académiques et des «professeurs académiques» devient moins centrale.
- appropriation de la philosophie nord américaine, aussi bien sa tradition analytique que sa tradition pragmatique. Ce n'est par ex que depuis très peu de temps que l'œuvre de Dewey est traduite de façon systématique.
- en lien avec ce premier point, la place importante que prend Wittgenstein et sa postérité, autant au sujet de la philosophie du langage que d'une certaine idée d'une philosophie des institutions ordinaires. (Importance de J Bouveresse pour cette acculturation de W).
- Développement des questions éthiques; tant d'un point de vue fondamental (Ricoeur, Lévinas ainsi que les derniers écrits de J Derrida, en particulier sur le pardon, le don, la loi, l'épreuve) que du point de vue des questions d'éthique appliquée. (Autour des questions liées à la santé, à l'éthique médicale; plus largement à la vie et impliquant les questions écologiques).
- Certainement aussi une forte vivacité de la postérité phénoménologique. Husserl, Heidegger, et Merleau-Ponty. Si la place de Heidegger fut très importante dans les années 70-90, si la France fut sans doute le pays où on lut le plus Heidegger, c'est un peu moins le cas maintenant.
- La poursuite d'un courant épistémologique très important. Bachelard, Canguilhem, certainement aussi M Serres.
- Poursuite et transformations des réfléxions sur l'esthétique et / ou les théories de l'art (A la suite et parfois contre Rancière, Lyotard; Schaeffer, Rancière, G Didi-Huberman.
- Philosophie politique. Un certain post-marxisme Ben Saïd, Balibar, Badiou, Rancière. Mais aussi tout un courant de pensée libéral, lui-même très divers et qui a aujourd'hui un grand pouvoir institutionnel.
- Enfin tout un ensemble de travaux autour de la question de la nature. En lien avec l'écologie, mais aussi en lien avec les sciences cognitives et le développement de la connaissance du cerveau.
2 J'en viens maintenant aux travaux et activités qui sont les miens, en essayant de les situer dans ces éléments de paysage. Je mettrai en valeur les points suivants.
2-1 Importance de Montaigne
Au sortir de ma formation académique (et je pourrais dire qu'il l'a brisée), je me suis intéressé à Montaigne, à la forme particulière de son scepticisme d'une part à sa pensée sur l'éducation d'autre part. (Deux livres. Quelques articles). Depuis lors il ne m'a pas quitté, non que j'ai souhaité en devenir un spécialiste, mais que je constate plutôt que ses écrits ne cessent de se mêler à mon travail.
Je dirai en quelques mots les thèmes ou objets qui m'ont retenu chez lui et me retiennent encore.
D'abord le principe d'une certaine tension. Montaigne peut écrire d'un côté: «qui suit un autre il ne suit rien il ne trouve rien voire il ne cherche rien». Phrase qui au sortir de l'école est tout de même forte à entendre. Phrase qui plaide indirectement pour la liberté ou l'autonomie du sujet, au moins le souci de juger, aller par soi-même. Elle annonce bien sûr d'autres auteurs, elle construit une figure forte et indépendante de l'individu.
Mais de l'autre côté lorsqu'on lit Montaigne on voit qu'il ne cesse de faire des emprunts et de penser avec d'autres; non seulement la tradition romaine et grecque, mais aussi ses contemporains, leurs images les plus communes, les vies et arguments ordinaires de ceux avec qui il vit, enfin ce que les voyageurs lui rapportent des nouvelles terres.
D'un côté donc l'affirmation de l'indépendance, et même de la figure d'un individu souverain, et cela contre l'expérience de tout guide et contre toute forme de dogmatisme; de l'autre le respect et l'amour même autant des œuvres que de toute vie commune. Au fond je crois cette tension très actuelle (les débats entre modernisme et post modernisme se posent ainsi).
D'autres aspects de cette œuvre m'ont arrêté: la question des relations, Montaigne dit «notre commerce avec». Commerce avec les livres, aves les amis dans la conversation, avec les femmes. Ce sont là selon lui les trois commerces principaux, ie ceux grâce auxquels le bien vivre est en jeu. La notion de commerce a toutefois une plus grande extension, et on peut avoir commerce avec les animaux, avec la maladie et la douleur, avec la superstition et l'intolérance, avec les princes ou les autorités. Comment, dans tous ces cas, se comporter? Nous avons rapport à ces réalités. Quelles sont elles et comment faisons nous avec elles? Comment être avec cela? Comment cela nous atteint, nous transforme et nous forme? Quelles expériences faisons nous de ces réalités? Ces questions me semblent pouvoir dessiner la thématique générale d'une éthique des relations.
Certes, je me suis intéressé ensuite à d'autres auteurs, Platon, Nietzsche et Alain, Valéry, Rawls auxquels j'ai consacré des livres ou des articles encore, mais je crois que Montaigne a une place à part.
2-2 Un autre aspect de mon travail concerne les problèmes et questions liées à l'éducation et la formation. Ici il me faut dire deux mots de ma position institutionnelle.
J'enseigne en effet la philosophie de l'éducation dans un département de Sc de l'Eduction, non dans un département de philosophie. Je l'ai aussi longtemps enseigné dans un établissement de formation des professeurs (établissement pédagogique).
Or de fait, dans les sc de l'ed, comme dans les établissements de formation des professionnels, la part accordée aux œuvres anciennes, philosophiques ou littéraires, est très faible.
Ce qui domine plutôt c'est un souci de positivité: aller aux pratiques, les analyser, les comprendre; aller aux publics et comprendre leur différence et leurs difficultés propres; aller aux disciplines particulières, et voir dans chaque cas comment se fait la transmission; aller voir les formations d'adultes, mesurer les acquis de l'expérience, comprendre comment il est possible d'évoluer; étudier enfin
les nouvelles technologies et les ressources qu'elles promettent pour l'éducation et la formation.
Ce qui domine aussi c'est un souci du présent: les problèmes de l'éducation et de la formation sont devant nous, ils sont énormes; les défauts ou impuissances ce ces systèmes, mais aussi leurs qualités et leur réussite comparative peuvent être exposées et par suite compris et analysés et ainsi pense-t-on, transformer.
(Peut-être faut-il dire tout de même que l'on ne sait jamais vraiment bien si ces améliorations visées, ces comparaisons constantes entre nos écoles et systèmes ne sont pas conduits par le pur et simple souhait d'une libéralisation complète du marché de l'éducation, comme certaines élites le souhaitent aujourd'hui, en Europe, dans l'idée que dans l'éducation comme ailleurs le marché et la privatisation sont le meilleur moyen d'allocation des ressources).
Dans ce souci du présent et des positivités, vous voyez bien que l'on ne peut que s'éloigner de la philosophie, tant dans ses objets que dans ses méthodes. Les discours souvent prétentieux et surplombants des philosophes, ne sont plus les bienvenus et on peut le comprendre. En revanche mes collègues trouvent dans la sociologie autant que dans la psychologie plus d'outils capables de les servir et plus de méthodes de terrain.
Dès lors la question était double: comment faire valoir un certain héritage, et montrer et démontrer que le détour par le passé peut être utile? Et comment faire valoir un héritage proprement philosophique?
De là d'une part un livre que je viens de terminer qui a pour titre «Renaissances», et sous titre «Essais que quelque concepts fondamentaux de l'éducation et de la formation». 4 prblms ou notions contemporains que je tâche d'interroger avec cette tradition philosophique.
- la prise en compte des représentations, selon l'idée courante qu'il n'y a de bonne pédagogie que si l'on prend en compte les représentations préalables; Platon.
- la notion de compétence que je cherche à contraster avec celle d'essai, qui est une notion je pense plus opératoire pour la pratique. (Montaigne, Alain, Dewey).
- La question du rapport entre individu et culture (j'en ai parlé un peu plus
haut).
- Enfin la question de la socialisation, moderne ou post moderne, en partant ici de Hegel.
Enfin, ce souci des héritages s'incarne dans notre département par un souci des grands pédagogues, des traditions pédagogiques anciennes, nouvelles, d'ici et d'ailleurs. Une de nos docteurs a ainsi réalisé un travail sur Tolstoi.
Je cois que la justification de cette orientation de mon travail est la suivante: une certaine idée de la critique. Qu'est-ce que la critique pour les philosophes, du moins pour le philosophe que je suis, plongé dans les institutions où il travaille avec d'autres, et répond à certain problème? Je crois que je peux avancer la chose suivante: c'est la critique du présent. Je veux dire par là la critique de la tendance du présent à ne voir que lui, à tout n'interroger qu'en fonction de lui, à méconnaitre sa relativité, et en particulier qu'il n'est pas le seul à poser les problèmes qu'il pose. Je trouve que le présent est très tyrannique autrement-dit, et qu'il laisse fort peu de place à la réflexion, à la prise de distance, et donc par là à la possibilité de penser. Et il me
semble juste de dire que permettre cette critique du présent, permettre au présent de se voir, et parfois le ridiculiser dans ses prétentions à tout mesurer, est bien un aspect du travail philosophique comme d'ailleurs du travail psychanalytique.
2-3 Diversité des objets ou intérêts.
Enfin et en dernier lieu, je me suis intéressé, je m'intéresse, à nouveau seul et / ou avec d'autres, à différents objets ou problèmes. Là encore de façon un peu dispersée, et sur ce point je dois dire que je le regrette. Mais c'est ainsi.
Je peux toutefois tenter de classer ces différents objets.
Un premier aspect touche la question de la nature ou de notre rapport à la nature. Ainsi ai-je un peu travaillé et fais régulièrement des cours, sur les fondateurs de l'écologie. En particulier A Léopold en Amérique du Nord et de Baird Callicott. Le renouvellement des questions éthiques qui nous vient de l'écologie (la souffrance et la vie animale, l'économie des relations).
C'est en partie cela qui m'a conduit à Polenovo, et qui explique que dans ce lieu je souhaite m'interroger sur la notion de paysage et sur le sentiment de la nature, tant dans la littérature que la peinture russe du 19. C'est un peu loin je vous l'accorde, mais je crois que ce qui relie ces deux aspects c'est la question de savoir ce que peut encore nous être aujourd'hui une pensée de la nature, dans un monde dont il faut bien dire qu'il a complètement transformé la nature et, pour parler comme Heidegger, l'a arraisonnée.
Un deuxième aspect de mon travail actuel concerne la notion de confiance. D'où vient la promotion relativement récente de cette notion dans le champ du social et de la politique? Qu'est-ce que perdre confiance en nous, en autrui, dans le monde même et plus encore peut-être dans notre pouvoir d'agir? Quelles sont en revanche sont les source de la confiance? Qu'est-ce qui fait qu'un enfant est sans confiance, dans son monde, dans ses proches? Qu'est-ce qui fait que des adultes la perdent ou la retrouvent?
- Il va prendre la forme d'un projet de livre: «Aux sources de la confiance», dont je tâche de finaliser ici même la première partie, qui concerne la question de la genèse de la confiance ou de l'amour. Le deux autres aspects concerneront le travail ou l'activité, et le savoir.
- Il prend aussi la forme plus collective et institutionnelle, d'un groupe de recherche propre à l'université de Rouen, pluri disciplinaire, sur cette question, qui normalement, dès l'année prochaine, devrait s'internationaliser. Nous allons travailler avec des collègues brésiliens, africains, taiwanais.
Si ce thème peut vois intéresser, si vous voyez une façon particulière de vous y rapporter, je serais très heureux de vous y associer.
Enfin, un dernier aspect de mon activité «philosophique» concerne l'interculturalité pas tant comme objet que comme pratique Pour le coup, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une activité philosophique (quoique: citoyen du monde!!!). On est plutôt du côté de l'anthropologie. Je pars là encore d'une idée de Montaigne. Education et voyages: «se frotter et limer la cervelle contre celle d'autrui».
Un des sens fondamental de son scepticisme: c'est bien parce qu'il est possible de construire l'expérience de sa différence propre, et que cette expérience se
construit dans le rapport à l'autre et par contraste. Chez Montaigne, cette expérience qui brise avec toute prétention universaliste immédiate, est au principe de toute tolérance.
C'est le sens des journaux que j'ai pu écrire dans les différents pays où j'ai pu vivre. Ecrire un journal, dans un pays étranger, a pour moi le sens d'un exercice spirituel: «frotter et limer sa tête contre la tête d'autrui» et, dans l'expérience même de ce contraste, se connaître mieux ainsi que l'autre autant que faire naître le désir d'une autre vie. C'est aussi le sens de certains travaux menés avec des collègues étrangers, d'écriture à deux.
J'ai cherché à la faire avec le Brésil; avec également qq collègue chinois et africains ; je tâche enfin de le faire ici.
Quelques indications bibliographiques.
- La conférence d'Alain Badiou que j'ai utilisée se trouve sur le net.
- En fonction des intérêts que j'ai cru sentir pour les doctorants proprement philo, il m'a semblé que les derniers travaux de M Foucault, au sujet de la notion de souci de soi telle qu'elle s'élabore dans la philosophie hellenistique et romaine, pourraient intéresser. «L'herméneutique du sujet», «Le gouvernement de soi» en particulier. Thématique des «exercices spirituels», commune aux religions et à la philosophie et qui, par certaines aspects (la notion d'écoute, la notion de franc parler, la notion et la pratique de journal d'écriture), concerne notre rapport à l'éducation et la formation aujourd'hui.
- De Deleuze, on peut lire «Dialogues avec C Parnet» pour une première approche de son œuvre, et surtout voir la série de petits films: «L'abécédaire de G Deleuze». Ses deux ouvrages sur le cinéma sont aussi d'un accès relativement facile. Un petit livre sur l'éthique chez Spinoza.
Bibliographiques
1. Deleuze G., Guattari F. Capitalisme et schizophrenie. V. 1. Anti-Oedipe. Paris: Ed. de Minuit, 1972. 470 p.
2. Derrida J. De la Grammatologie. Paris: Editions de Minuit, 1967. 450 p.
3. Montaigne M. Les Essais. Paris: Arléa, 1994. 813 p.