M. Ueno*
GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX AU JAPON
Brief analysis of practice of normative control executed by Japanese courts is presented. The author evaluates normative and realization aspects of juridical negativism in Japan.
Key words: Constitution, control, guarantees, court proceedings, Supreme Court
Avant-propos
La Constitution japonaise se fonde sur le principe de la séparation des pouvoirs qui est à la base du constitutionnalisme. Dans tout manuel de droit au Japon, il est stipulé que le pouvoir se compose du législatif, de l'exécutif et du judiciaire, chacune de ces branches du pouvoir étant indépendant et agissant mutuellement comme des contrepoids. Mais le Japon ayant un système parlementaire dans lequel existent des rapports d'étroite collaboration entre le législatif et l'exécutif, le rapport de force entre ces branches du pouvoir n'est pas égal.
S'agissant du pouvoir judiciaire, les tribunaux (y compris les Cours) qui sont les détenteurs de ce pouvoir opèrent dans un système de contrôle de la constitutionnalité vis-à-vis du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. La raison sous-tendant ce système de contrôle est le souci de prévenir les abus de pouvoir, d'assurer le respect de la Constitution et finalement de garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens. Cependant, dans la réalité, il est difficile de prétendre que les tribunaux japonais exercent ce pouvoir de contrôle de manière proactive, et la situation peut être qualifiée de négativisme judiciaire. Ayant cette notion à l'esprit, je me propose de vous présenter la réalité et un état des lieux du système japonais de contrôle de la constitutionnalité.
1. État des lieux du système japonais de contrôle de la constitutionnalité
Le chapitre 6 de notre Constitution traite de la question du pouvoir judiciaire. Il y est clairement stipulé à l'alinéa 1 de l'article 76 que le pouvoir judiciaire est dévolu à une Cour Suprême et aux juridictions inférieures. La définition de la Justice peut s'énoncer de la manière suivante: "Action par laquelle on rend un jugement au sujet d'une contestation. En d'autres termes, l'action par laquelle s'exerce le pouvoir de l'État par l'application de la loi à une contestation donnée et d'en tirer les conséquences, de rendre un jugement et résoudre ladite contestation". La justice a un caractère passif dans la mesure où elle agit seulement lorsqu'une contestation est instituée, et c'est dans le prolongement de ce caractère passif que se situe le système de contrôle de la constitutionnalité.
Quant au domaine relevant du pouvoir judiciaire au Japon, il couvre non seulement les procès civils et pénaux mais aussi les procès relatifs aux affaires administratives. Nul organisme du pouvoir exécutif ne pourra rendre les jugements à titre de dernière instance (alinea 2 de l'article 76), mais cette disposition peut sous-entendre que l'organisme administratif peut donner la décision comme en instance préliminaire.
La Constitution japonaise dispose que le pouvoir judiciaire est indépendant, ce qui signifie que les Tribunaux ou les Cours dont le rôle est la mise en oeuvre du pouvoir judiciaire, ont la faculté d'agir indépendamment du pouvoir de l'État et plus particulièrement du pouvoir politique. Il en découle que dans un procès, chaque juge est libre d'exercer
* Ueno Mamiko — профессор университета Чуо (Токио, Япония).
ses fonctions dans le cadre d'une interprétation objective de la loi et conformément à la conviction dictée par sa conscience (alinéa 3 de l'article 76).
La Cour Suprême est investie de l'autorité pour fixer les régies de procédure de procès, de la discipline intérieure des tribunaux et de la gestion des affaires judiciaires (alinéa 1 de l'article 77). Les juges des tribunaux inférieures sont nommés par le Cabinet sur une liste établie par la Cour Suprême (alinéa 1 de l'article 80). Quant au Président de la Cour Suprême, il est nommé par l'Empereur (alinéa 2 de l'article 6) d'après la désignation du Cabinet, alors que les autres juges de la Cour Suprême sont nommés par le Cabinet (alinéa 1 de l'article 79). La nomination des juges de la Cour Suprême est périodiquement examinée par le peuple (alinéas 2 et 3 de l'article 79).
Au Japon, le contrôle de la constitutionnalité, qui est appliqué un système à l'américaine, est exercé par les Tribunaux et les Cours dans le cadre de l'exercice de son pouvoir juridictionnel et dans le cadre de chaque affaire jugée. Ainsi, bien que le contrôle de la constitutionnalité s'exerce sur "toute loi, tout décret, tout règlement ou tout acte officiel" (article 81), il découle de la décision du Tribunal (ou de la Cour) sur l'affaire concrète. L'article 3 de la Loi sur l'Organisation Judiciaire dispose que "Les tribunaux devront juger toutes les disputes légales".
Dès lors, se pose la question de connaître les limites du pouvoir judiciaire, en d'autres termes jusqu'où ce pouvoir peut s'exercer, car on considère que toute affaire qui n'est pas soumise au pouvoir judiciaire ne peut faire l'objet du contrôle de la constitutionnalité.
Tout d'abord, toute affaire ne constituant pas un litige ou une contestation n'est pas soumise au pouvoir judiciaire. En termes pratiques, une contestation est un litige entre les personnes concernées, matérialisée par des intérêts contraires relatifs à une question de droits ou de devoirs, qui peut être résolue moyennant l'application de la loi par les Tribunaux ou les Cours. Ainsi, le pouvoir judiciaire n'a pas le droit de se prononcer sur des interprétations divergentes concernant la Constitution ou tout autre acte judiciaire en dehors de la procédure d'un procès sur une affaire concrète.
En second lieu, le pouvoir judiciaire ne s'étend pas jusqu'aux limitations du pouvoir discrétionnaire du législatif et de l'exécutif. Les organes législatifs et exécutifs disposent de certaines latitudes pour prendre des mesures appropriées dans des limites fixées par la loi. Le pouvoir judiciaire peut formuler son avis sur la constitutionnalité ou la légalité, mais ne peut pas se prononcer sur la pertinence ou l'opportunité de telle ou telle mesure. Toutefois, s'il y a dépassement ou abus du pouvoir discrétionnaire, la règle est de se soumettre à l'examen du pouvoir judiciaire. Dans le domaine du droit social, on peut dire, le législatif et l'exécutif disposent d'un large pouvoir discrétionnaire.
En troisième lieu, il est généralement admis que s'agissant des décisions du Parlement et des mesures disciplinaires touchant les parlementaires, le pouvoir législatif a son indépendance, et le pouvoir judiciaire ne peut pas intervenir. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'affaires graves, telle que la perte ou la privation de statut ou l'exclusion d'un parlementaire, les Tribunaux ou les Cours estiment qu'elles sont de leur ressort.
Quatrièmement, s'agissant de ce qu'il est convenu d'appeler "actes de gouvernement de haute importance", la Cour Suprème a émis l'avis suivant: "Lorsque des actes de gouvernement de caractère politique qui sont directement à la base de la gestion de l'Etat font l'objet d'un litige juridique, même si la validité de tels actes est susceptible d'un jugement juridique, la décision dans de telles affaires est en dehors de la compétence des tribunaux, et une telle décision est laissée au gouvernement et au pouvoir politique, notamment le Parlement qui sont politiquement responsables vis-à-vis des citoyens, et doit en dernier ressort être soumise à la décision de la nation".
En cinquième lieu, il y a la question du droit de véto du Premier Ministre qui fait l'objet de l'article 27 de la Loi sur le Procès des Affaires Administratives et par lequel ce dernier a la possibilité de s'opposer à la mise en oeuvre du jugement d'un tribunal. Dans un tel
cas, le judiciaire est contraint de se soumettre au véto; d'aucuns soutiennent que la faculté de rendre un jugement à titre de dernière instance relevant du pouvoir judiciaire, une intervention de l'exécutif pour casser une décision d'un tribunal est contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
Sixièmement, il existe certains cas dans lesquels la Constitution elle-même prévoit des dérogations au pouvoir judiciaire. L'article 55 admet que chaque Chambre a la possibilité de décider en matière d'éligibilité de ses membres. L'article 64 dispose que le Parlement peut mettre en place une Cour d'accusation composée de membres des deux Chambres pour la révocation d'un juge contre lequel une procédure de destitution a été instituée. Quant à l'article 73, il accorde au Cabinet le droit d'amnisties. Bien que ceci ne soit pas explicitement exprimé dans le texte de la Constitution, il existe des dérogations aux compétences du pouvoir juridique qui relèvent du droit international notamment en matière d'immunités diplomatiques.
Le pouvoir judiciaire est détenu par la Cour Suprême et les juridictions inférieures qui se composent des Cours d'Appel, des Tribunaux de district, des Tribunaux de famille et des Tribunaux sommaires. Chacun de ces Tribunaux et Cours a la possibilité d'exercer le contrôle de constitutionnalité mais la décision en dernière instance appartient à la Cour Suprême.
D'autre part, s'agissant de la faculté de contrôle de la constitutionnalité, certains juristes soutiennent que cette faculté ne peut être exercée que lorsqu'il n'est pas possible de juger l'affaire en instance sans invoquer l'inconstitutionnalité d'une disposition juridique. Par contre, la position d'autres juristes est que, la constitutionnalité d'une loi étant la prémisse logique de son application à une affaire concrète, l'examen de la constitutionnalité d'une loi doit primer en toutes circonstances même si sa constitutionnalité n'est pas en doute, et à plus forte raison, s'il y a le moindre doute d'inconstitutionnalité. La position de ces juristes se fonde sur le fait que la Constitution étant la norme suprême en matière juridique, toutes lois et règlements contraires au texte de la Constitution sont invalides et qu'il est du devoir du juge, qui est fondamentalement lié par la Constitution, de résister à tout ce qui peut lui paraître contraire à cette norme et de s'assurer de sa parfaite application en toute affaire. Il découle de ce raisonnement que le juge a le droit d'interpréter en code de procédure la constitutionnalité d'une loi qui est la prémisse rationnelle d'un concept de droit positif, et que le tribunal a le devoir de procéder à un contrôle permanent de la constitutionnalité des lois. Cependant, dans la réalité, la tendance des juges à éviter le contrôle de constitutionnalité est patente, et des craintes sont émises sur les dangers auxquels est confrontée la protection des droits de l'homme dans la législation japonaise.
Si une loi est jugée inconstitutionnelle par la Cour Suprême, il est admis que ce jugement d'inconstitutionnalité n'a qu'une portée ponctuelle, c'est à dire que l'application de ladite loi est suspendue uniquement dans le cas de l'affaire jugée. En effet, si le jugement d'inconstitutionnalité s'appliquait de manière plus large que dans le cadre de l'affaire jugée, et si la loi visée devenait invalide d'une manière générale, il en découlerait que la Cour Suprême aurait exercé une fonction législative, portant ainsi atteinte à la primauté du Parlement et aux concepts de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté de la nation. Prenant le contre-pied de cette opinion, d'autres juristes soutiennent que lorsqu'une loi est jugée inconstitutionnelle par la Cour Suprême, elle devient inapplicable non seulement dans l'affaire en question, mais invalide de manière plus générale. Le raisonnement tenu par ces juristes se fonde sur le fait que les tribunaux ont, vis-à-vis de la société dans son ensemble, le devoir d'exercer le contrôle de la constitutionnalité des lois, et que si la loi jugée inconstitutionnelle ne perd pas sa validité de manière objective, le contrôle de la constitutionnalité devient sans signification.
Au Japon, le concept de l'autorité de la chose jugée n'a pas fait objet de débats très approfondis. Par exemple, bien que la Cour Suprême ait statué que l'article 900 du Code
Civil entérinant la discrimination à l'égard d'un enfant né hors mariage n'était pas contraire à l'alinéa 1 de l'article 14 de la Constitution relatif au principe d'égalité, des verdicts divergents ont été rendus ultérieurement par des juridictions inférieures dans des affaires similaires à celle portée à l'appréciation de la Cour Suprême. Si de telles affaires sont soumises de nouveau à la Cour Suprême, il ne fait aucun doute que cette instance jugera que la discrimination n'est pas contraire à la Constitution, mais il n'en demeure pas moins que le jugement et l'indépendance des juges des juridictions inférieures ne doivent pas être ignorés. Cependant, la thèse de la portée ponctuelle des jugements de la Cour Suprême peut faire douter le citoyen de la stabilité des procédures judiciaires et peut inviter des doutes sur la compétence des tribunaux.
2. La réalité du négativisme juridique
La Cour Surprême est saisie chaque année de quelque 5000 affaires civiles et administratives. Bien que la Constitution actuelle a une histoire de quelque 60 années (elle a été mise en vigueur en 1947), on compte jusqu'à présent moins de 10 jugements d'inconstitution-nalité des lois à la Cour Suprême. Dès lors, on peut se demander si la Cour Suprême et l'appareil judiciaire dans son ensemble sont vraiment engagés dans le contrôle des lois et des règlements et agissent vraiment dans le sens de la protection des droits de l'homme telle qu'elle est énoncée dans la Constitution, ce qui peut susciter des questionnements au sujet du négativisme juridique du pouvoir judiciaire japonais.
La Cour Suprême a rendu des jugements d'inconstitutionnalité notamment au sujet des affaires suivantes:
jugement de 1962 concernant la disposition de la Loi Douanière permettant l'expropriation des biens d'une tierce personne sans passer par une procédure de la notification et de l'explication,
jugement de 1973 concernant la disposition du Code Pénal assignant des peines plus lourdes aux parricides qu'aux meurtriers ordinaires,
jugement de 1975 concernant la disposition de la Loi sur la Pharmacie visant à restreindre l'ouverture d'une nouvelle pharmacie en fonction de sa proximité relative à une pharmacie pré-existante,
jugement de 1976 sur la disposition de la Loi sur les Élections Publiques produit le déséquilibre entre circonscriptions électorales en matière du poids des votes; l'écart de 1:4,99 constaté lors d'une élection de députés de la Chambre Basse a été jugé inconstitutionnel,
jugement de 1985 également sur le déséquilibre entre circonscriptions électorales en matière du poids des votes; l'écart de 1:4,40 constaté lors d'une élection de députés de la Chambre Basse a été jugé inconstitutionnel,
jugement de 1987 sur l'inconstitutionnalité de la disposition de la Loi sur la Forêt restreignant la subdivision des forêts en co-propriété,
jugement de 2002 sur l'inconstitutionnalité de la disposition de la Loi sur la Poste qui dégage l'Etat de toute responsabilité en matière de dommages résultant d'un acte délibéré ou faute grave d'un préposé du service postal,
jugement de 2005 sur l'inconstitutionnalité de la disposition de la Loi sur les Élections Publiques qui ne reconnaît pas le droit de vote aux ressortissants japonais résidant en dehors du territoire national.
Bien que pour la garantie d'une société démocratique, la liberté d'expression soit aussi importante que le droit de participer aux élections publiques, il n'existe aucun jugement d'inconstitutionnalité de la Cour Suprême relatif à cette liberté. Dans ce domaine, voici quelques exemples, parmi d'autres, de décisions de la Cour Suprême qui confirment la validité des dispositions existantes:
Soumission des manifestations à un régime d'autorisation préalable par voie de l'arrêté de collectivité locale,
Article 175 du Code Pénal interdisant la distribution et la vente d'écrits et d'images à caractère obscène sans précision des critères de définition de l'obscénité,
Règlement de l'Agence des Personnels Gouvernementaux limitant rigoureusement les activités politiques des fonctionnaires; les sanctions pénales applicables aux fonctionnaires non-cadres en cas d'exercice d'activités politiques même en dehors des heures de travail.
Au Japon, les réglementations sont édictées non seulement par des lois, mais aussi par voie d'arrêtés approuvés par les assemblées municipales. S'agissant de ces arrêtés, l'article 94 de la Constitution dispose que "Les autorités locales auront la compétence... d'édic-ter leurs propres arrêtés dans le cadre des lois", ce qui est interprété au sens que "les arrêtés peuvent être édictés dans la mesure où elles ne contreviennent pas aux lois" (alinéa 1 de l'article 14 de la Loi d'Autonomie Locale). C'est ainsi qu'aujourd'hui, les assemblées de ces communautés se voient reconnaître un large pouvoir de législation par voie d'arrêtés, et il en découle que des règlementations disparates peuvent exister au niveau des diverses communautés locales. Devant cet état de fait, la position de la Cour Suprême est que la Constitution reconnaisant aux autorités locales le droit d'édicter des arrêtés, de telles disparités doivent être tolérées. C'est pourquoi il semble qu'il n'existe pas au Japon de hiérarchie dans les normes juridiques (Constitution — lois — arrêtés — règlements).
Quelles sont donc les causes du négativisme judiciaire japonais?
La première cause est le système de nomination aux postes de juges. Des quinze juges de la Cour Suprême, six sont des juges de carrière, c'est à dire des magistrats qui sont passé des Tribunaux de district aux Cours d'Appel, avant d'accéder à la Cour Suprême. Pour figurer sur la liste des candidats admissibles aux postes de juges de la Cour Suprême préparée par la Cour et pour être nommé par le Cabinet, on peut supposer que dans leur carrière, les impétrants se sont efforcés de se conformer prudemment à un mode de pensée conservateur. Pour ce qui est des autres juges, quatre sont d'anciens avocats, deux d'anciens procureurs, deux des membres de la fonction publique et un issu du monde universitaire (droit civil). La présence d'anciens procureurs ou de membres de la fonction publique s'explique par le fait que la Cour Suprême est appelée à se prononcer aussi bien sur des affaires civiles que pénales ou administratives. Cependant, cette composition du corps des juges de la Cour Suprême n'offre pas nécessairement la garantie que les affaires seront examinées objectivement du point de vue d'une tierce partie. Qui plus est, le Président de la Cour Suprême a traditionnellement été choisi parmi les juges.
La seconde cause du négativisme judiciaire japonais est probablement la forme accessoire et complexe de la procédure de contrôle de la constitutionnalité qui s'exerce toujours en marge d'une affaire jugée dans un tribunal. Les pourvois arrivant à la Cour Suprême sans aucun mécanisme de "filtrage" (Si un des éléments de l'affaire concerne à la disposition de la Constitution, on peut se pourvoir à la Cour Suprême), on peut se demander si les juges ont le temps matériel pour se pencher sérieusement sur les affaires de constitutionnalité.
Bien que les jugements d'inconstitutionnalité n'ont qu'une portée ponctuelle (un jugement n'est valable que pour l'affaire concernée), de tels jugements ne déclenchent pas automatiquement des mesures correctives au Parlement en vue d'abroger ou d'amender la disposition juridique concernée, ni des mesures de suspension d'application de la disposition de la part des organes de l'exécutif. Ceci est difficile à accepter du point de vue de l'Etat de droit, et le grand problème qui se pose est donc la manière dont réagit le législatif devant un jugement d'inconstitutionnalité de la Cour Suprême.
Dans le cas de l'article 200 du Code Pénal relatif aux peines infligées aux parricides (meurtriers d'ascendants directs), le Parquet Suprême a fait parvenir aux procureurs de tous
Parquets une circulaire leur demandant de ne pas appliquer l'article 200 du Code Pénal dans les cas de parricides mais d'appliquer l'article 199 couvrant les meurtres ordinaires. Des mesures de réduction de peines ont été prises vis-à-vis des personnes déjà condamnées en application de l'article 200. Néanmoins, la réaction du législatif a mis du temps à se manifester, et lorsque l'abolition pure et simple de l'article incriminé a été décidée par le Cabinet en 1973, le projet d'amendement du Code Pénal n'a pas pu être soumis au Parlement, le parti au pouvoir (Parti Libéral Démocrate) s'y étant opposé.^Ce n'est qu'en 1995, que l'article 200 a été retiré du Code Pénal, à l'occasion de la ré-écriture en Japonais moderne du Code Pénal. Par contre, le législatif a réagi très rapidement aux jugements d'inconstitutionnalité relatifs à la Loi sur la Pharmacie, la Loi sur la Forêt, la Loi sur la Poste, et la Loi sur les Élections Publiques en cas du droit de vote et a pris les mesures correctives nécessaires. Pour ce qui est du jugement d'inconstitutionnalité de 1976 relatif au déséquilibre entre circonscriptions électorales en matière du poids des votes constaté lors de l'élection de députés de la Chambre Basse, des mesures correctives avaient déjà été prises en 1975, alors que dans le cas du jugement d'inconstitutionnalité de 1985 sur la même question, les mesures correctives ont été prises l'année suivante. La raison pour laquelle la disposition relative aux parricides a tardé à être retirée du Code Pénal s'explique par le sentiment largement partagé selon lequel les ascendants en ligne directe avaient droit au respect de leur progéniture et que ce type de crimes devaient être assortis de peines plus lourdes que les homicides ordinaires. La Cour Suprême n'a pas nié la validité de ce raisonnement, mais a estimé que les peines de mort ou de réclusion à perpétuité étaient des sanctions trop lourdes même pour ces crimes, ce qui explique les difficultés du législatif à arriver à un accord.
Conclusion
Comme il ressort de ce qui précède, il est difficile d'affirmer qu'au Japon, la protection des droits de l'homme par la Cour Suprême soit suffisante. On a fait valoir dernièrement, que le Bureau de Législation du Gouvernement examinant les projets de lois avec rigueur lorsqu'ils sont élaborés, il etait normal que le pourcentage des cas d'inconstitutionnalité constatés dans les Tribunaux ou les Cours ait nettement baissé. Cependant, on peut émettre quelque doute sur cette affirmation parce qu'entre l'examen de la constitutionnalité ou de la cohésion constitutionnelle exercé par le Bureau de Législation du Gouvernement au moment de la préparation du projet de loi, et l'examen de la même disposition au niveau des Tribunaux ou des Cours, il y a vraisemblablement des différences de point de vue. En France, par exemple, le Conseil d'Etat est consulté des projets de lois et émet son avis, mais avant la promulgation, le Conseil Constitutionnel en est saisi et se prononce sur la constitutionnalité de la loi (et récemment même après la promulgation). C'est ainsi qu'est garantie la protection des droits de l'homme dans le cadre de la législation française.
On reproche souvent au Japon l'insuffisance des critères de jugement. Par exemple en matière de séparation de l'Église et de l'État, les Tribunaux ou les Cours utilisent comme critère de jugement la "théorie du but et de l'effet de l'acte de l'autorité publique": l'interdiction porte sur les actes de caractère religieux, dans la mesure où de tels actes ont comme effets une assistance, un encouragement, une promotion, ou au contraire une oppression à l'égard d'une religion. De nombreux juristes sont critiques à l'égard de ce critère de jugement, car selon eux, les éléments constitutifs de ce critère peuvent se prêter à toutes sortes d'interprétation. Quoiqu'il en soit, il ne fait pas de doute qu'en matière de critères de jugement juridique, le Japon a du retard et a encore beaucoup à apprendre des pays occidentaux.
Tadakazu FUKASE et Yoichi HIGUCHI, Le constitutionnalisme et ses problèmes au Japon, P. U. F., 1984. Mamiko UENO, Justice, Constitution et droits fondamentaux au Japon, L. G. D. J., 2010.